samedi 24 décembre 2022

Une transition globalement pro-fossiles (1/6)

Les politiques publiques conduites actuellement en France soutiennent globalement l'inverse des objectifs de transition écologique. C'est ce que nous allons détailler dans cette série. Pourtant, les transitions énergétiques et écologiques couvrent plusieurs types d’enjeux, dont certains sont mondiaux (notamment la réduction des gaz à effet de serre - GES) et d’autres sont plus ou moins importants selon les pays :

o   La limitation du changement climatique, enjeu mondial dont les impacts négatifs sont croissants (catastrophes, pertes agricoles, déplacements de populations, etc. voir le résumé GIEC), nécessite une très forte réduction de la consommation d’énergies fossiles (de plus de 50% entre 2000 et 2030) et une agriculture nettement moins intensive ;

o   Les pollutions de l’air, de l’eau et de l’alimentation par l’utilisation intensive d’énergies fossiles et de produits chimiques ont des impacts massifs sur la santé publique[1] : ces pollutions expliquent plus de la moitié de la forte hausse des maladies chroniques, qui couvrent plus de la moitié des dépenses publiques de soin, avec une croissance de + 40% en 10 ans ;

o   La forte concentration des ressources fossiles sur certains territoires oblige la plupart des pays à les importer et implique une forte dépendance extérieure pour les pays comme la France (où plus de 80% des ressources énergétiques et des intrants agricoles sont importés[2]), dont le coût est massif en termes de déficit commercial[3] et d’emplois détruits par ces importations.

 

Une transition qui avance très lentement…

Les différentes politiques publiques qui visent à réduire les consommations énergétiques et les gaz à effets de serre n’atteignent pas leurs objectifs à des degrés divers selon les pays et les secteurs. En France, les résultats sont particulièrement médiocres, malgré des enjeux nationaux massifs au-delà du changement climatique, notamment en termes de santé publique et de dépendance extérieure.

En effet, les politiques engagées n’atteignent qu’entre 10% et 60% des améliorations visées selon les secteurs, malgré des objectifs le plus souvent peu ambitieux :

Principaux secteurs

Principaux objectifs

Principaux résultats

Ecart avec l’amélioration attendue

Rénovation énergétique des bâtiments

~ 80 Mm² /an « rénovés »* et - 1,5%/an d’énergie consommée

~ 40 Mm²/an « rénovés »* et - 0,5%/an d’énergie consommée

- 50 à -70%

Transports « bas-carbone »

~ 25% des voyages et 25% des marchandises en 2020-2022**

~ 19% des voyages et 12% des marchandises en 2019

-80 à -100%

Electricité et chaleur renouvelable

+18 Twh[4]  par an d’ici 2028 et                   23% de la consommation en 2020***

+ 8 à 10 Twh par an et 19% de la consommation en 2020

-40%

Agriculture

20% (réduit à 15%) des surfaces agricoles en bio en 2020****

9,5% des surfaces agricoles en bio en 2020

-40 à -60%

Sources : Enquêtes Open 2015 et Tremi 2018, Bilan énergétique 2019, PPE et Memento agricole

*avec un gain > à 40% de consommation d’énergie  (Mm² = millions de mètres carrés) **vs. 18 % des voyages et 14% des marchandises en 2010 ***vs. 12% de la consommation d’énergie finale en 2010 ****vs. 3% des surfaces agricoles en 2010

En France, seule l’industrie réduit sa consommation d’énergie et ses émissions de gaz à effet de serre, mais principalement en raison de la forte hausse des importations depuis 2000. En prenant en compte l’ensemble des émissions liées à la consommation des français, l’ « empreinte » carbone du pays est plus de 2 fois supérieure à ses émissions « nationales » et n’ont pas baissé depuis 2000[5] :  

Pourtant, la contribution à la lutte contre le changement climatique de la France et des pays de l'UE (qui ne représentent que 1% et 8% des émissions mondiales[6]) repose essentiellement sur l’imposition de normes « bas carbone » aux pays exportant eu Europe - premier marché mondial - après avoir « décarboné » leurs énergies, transports et industries.  : Chine, Inde et autres pays émergents dépendants en fossiles[7] seraient alors contraints de transformer leurs économies pour pouvoir exporter en Europe.

Mais c'est l'inverse qui se produit, notamment en France : les importations de fossiles directes (ex. gaz et pétrole pour l’habitat et le transport) et indirectes (ex. textile et acier d’Asie ou soja issu de déforestation) restent particulièrement élevées. Au sein de l’Europe, la France est classée parmi les moins performants des pays comparables (hors pays de l’est) : 10ème sur 12 pour les énergies renouvelables, 10ème sur 12 pour le fret ferroviaire et 9ème sur 12 pour l’agriculture bio[8].

Ces comparaisons européennes et les différentes évaluations disponibles soulignent que les mauvais résultats de la France ne sont ni liés à des coûts trop élevés ou à des impossibilités techniques, mais à des choix politiques. En effet, nous allons voir que les soutiens publics sont très largement défavorables à la réduction de la dépendance aux fossiles, notamment en France : les incitations à la transition énergétique restent marginales, alors que les dissuasions sont nettement plus élevées et diversifiées. Et c’est cette « inversion » des moyens qui occasionne un coût économique et des sacrifices sociaux croissants, notamment dans un pays comme la France, qui ne bénéficie pas (ou peu) des profits extravagants des hydrocarbures[9].

…en raison d’incitations en baisse et de dissuasions 6 fois supérieures

Voyons d’abord les principaux dispositifs « incitant » aux investissements dans des activités économes en énergie et/ou utilisant des ressources renouvelables. Le résumé des évaluations réalisées sur ces dispositifs souligne que peu d’entre eux ont une efficacité forte, certains ayant même des impacts plutôt négatifs :

Principaux objectifs, montants et résultats des dispositifs de transition énergétique/écologique

Principaux objectifs sectoriels                              

Principaux dispositifs

Dépense publique/an (2018-2021)[10]

Principaux « résultats »

Efficacité et impacts

Rénovation énergétique des logements…

= 500 000 rénovations « performantes » par an

 

…et des bâtiments tertiaires

~ 30 Mm²/an 

Subventions Habiter Mieux

~ 0,6 Md €

~ 100 000 rénovations « performantes »/an (45% de gain)

 

 

Ma Prime Rénov’ et Certificats d’économie d’énergie (CEE[11])

~ 3 Mds €

 

~ 1,5 M de travaux « limités » par an    (5 à 15% de gain)

 

Bâtiments de l’Etat

~ 0,5 Md €

 

TVA à taux réduit (5,5% vs. 10%)

~1,2 Md €

 

Véhicules « bas-carbone »

~ 200 000/an en 2021

Bonus-malus sur les véhicules neufs  + prime à la conversion

~ 0,8 Md €

(et malus de - 0,5 Md €)

~ 80 000 véhicules électriques particuliers en 2021

 

Infrastructures de transports « bas-carbone »

= 25% des km en 2020

Subventions au renouvellement du réseau ferré

~ 0,3 Md €

~ 10% du coût des 1000km renouvelés chaque année

 

Subventions au développement des réseaux ferroviaires et en commun*

   ~ 2,5 Md €*

~ 260 km de métros sur 15 ans en Ile de France + LGV Lyon-Turin

 

Electricité renouvelable 

 + 60 GW et +100 Twh en 2028

Appels d’offre avec subventions, surtout à l’éolien marin et au biogaz

~ 1 Md €** (nouveaux engagements)

3 GW d’éolien marin installé d’ici 2027 (+ 12 Twh/an) et + 5 Twh de biogaz injecté depuis 2018

 

Chaleur renouvelable

+ 80 Twh en 2028

Subventions du Fonds chaleur aux chaufferies bois et réseaux de chaleur

~ 0,3 Md €

+ 25 Twh/an de production entre 2008 et 2018

 

Agro-écologie

15% de bio en 2020

Mesures agroenvironnementales (MAE) dont bio

~ 0,5 Md € 

9,5% de surfaces en bio en 2020

 

Total

 

~ 11 Mds € 

 

 

*Dont subventions des collectivités mais hors fonctionnement des transports collectifs locaux qui ne visent pas les investissements

** Environ 4 Twh/an engagés sur +- 15 ans avec un surcoût moyen de +-10 euros/Mwh hors biogaz (avant la forte hausse des prix de gros fin 2021 qui impliquent depuis des recettes publiques de la part des Enr électriques récentes, voir note PLF 2023)

Sources : Documents budgétaires, Comptes sectoriels (Transports, Energie et Agriculture), Programmation Pluriannuelle de l’Energie (PPE) et Bilans Anah, ART, LOM et CSPE et Evaluation du fonds chaleur

Malgré leur niveau très limité (<1% du total des dépenses publiques), les soutiens publics aux investissements dans la transition énergétique et écologique ont été réduits d’environ 20% depuis la période 2010-2016 (d’environ 10 Mds/an à 8 Mds/an en 2017-2020, hors plan de relance). La baisse des nouvelles dépenses publiques est concentrée dans les énergies renouvelables (- 1 Md/an de dépenses « nouvelles », voir détails dans la note énergie) ainsi que dans le développement des lignes ferroviaires (- 1 Md/an hors Grand Paris Express, dont les dépenses ont été engagées avant 2017).

Cette baisse contraste avec le Grand Plan d’Investissement qui promettait une hausse d’environ 50%, avec +5 Mds/an annoncés (+ 4 Mds pour la transition écologique et + 1 Md pour l’agriculture[12]). Le plan de relance post-covid n’a que peu modifié ces soutiens dans la mesure où les dépenses affichées ont en majorité remplacé des dépenses déjà prévues (ex. Ma prime Rénov’ ou Transports en commun), hormis pour les bâtiments de l’Etat, qui ont bénéficié d’un investissement en hausse d’au moins 500 millions d’euros par an (mais sans donnée précise sur la part « énergétique » des travaux financés, probablement entre 30 et 50%).

Mais au-delà du niveau des dépenses soutenant les investissements de « transition », c’est surtout l’incohérence avec les politiques « dissuasives » qui est impressionnante :



En face des quelques subventions aux investissements favorables à la transition écologique, plusieurs types d’avantages publics favorisent l’augmentation de la consommation d’énergie en général et des fossiles en particulier. Parmi ces « dissuasions », certaines sont déjà souvent citées dans le débat public, en particulier les aides fiscales aux fossiles (16 à 22 Mds d’euros par an selon les modalités de calcul de l’exonération du kérosène et l’intégration ou non des indemnités kilométriques[14]) et les aides publiques à l’agriculture intensive (plus de 8 Mds/an, hors aides fiscales aux carburants fossiles[15], voir la partie 4 sur l’Agriculture).

À ces aides « inversées » bien documentées s’ajoutent des subventions mal ciblées qui favorisent directement les fossiles ou concurrencent les aides aux investissements plus ambitieux (voir les notes rénovation et transports). En complément de ces aides mal ciblées, d’autres politiques publiques souvent moins connues octroient également des avantages aux activités fossiles et aux fortes consommations d’énergie. Il s’agit notamment des avantages tarifaires « inversés » et des dérogations sur les importations :

      - La quasi-gratuité des infrastructures pour les camions (via des péages et des taxes très allégées au regard des charges qu’ils occasionnent) leur permet de fortement réduire leur coût et donc de dissuader le report du fret longue distance vers le ferroviaire (contrairement à ce qui se fait par exemple en Suisse, voir la note transports).

- Autre avantage « tarifaire » inversé, ceux du gaz incitent à beaucoup en consommer, dans la mesure où le tarif à l’unité se réduit fortement pour les grosses consommations (voir la note rénovations). De plus, l’absence de régulation puis le bouclier sur les tarifs du gaz constituent le principal frein au développement de la chaleur renouvelable, alors que la concurrence du gaz était déjà identifiée en 2018 comme le principal frein au développement des chaufferies bois[16]. 

- Les dérogations et l’absence de contrôle des importations (dérogatoires et illégales) avantagent fortement les pratiques agricoles intensives « délocalisées » (voir la note agriculture), alors que le travail détaché permet au fret routier d’aggraver son avantage sur le fret ferroviaire et que l’absence de taxe carbone significative aux frontières entrave la régulation des industries polluantes.

Pour les seules subventions et avantages fiscaux aux énergies, la France est un des pays européens les plus favorables aux fossiles selon la Cour des comptes de l’UE, avec 2 fois plus de subventions aux « combustibles fossiles » (diesel, kérosène, centrales thermiques, etc.) qu’aux « énergies renouvelables » :

 

Nous allons voir dans les notes suivantes que l’analyse plus détaillée des politiques de « transition » par secteur (1. rénovation énergétique, 2. production d’énergie, 3. transports et 4. agriculture) permet d’expliquer aux échelles « globales » et « individuelles » les différents types de « dissuasions » qui peuvent porter sur :

o   L’efficacité des dispositifs (quel changement des investissements ou des pratiques ?), de la « simple » quasi-absence de soutien à la concurrence entre dispositifs ;

o   Les impacts des dispositifs (quels impacts énergétiques, économiques et sociaux des investissements ?), souvent diminués par la quasi-absence de contrôle et de sanction des fraudes (notamment dans les domaines de la rénovation et des véhicules), ainsi que par les tarifications et fiscalités (souvent défavorables à la diminution des consommations de fossiles).



[1] Voir notamment Environemental.Research 2021 pour une évaluation récente des impacts des fossiles sur la pollution de l’air et l’expertise Inserm de 2021 pour une synthèse des connaissances scientifiques sur les impacts sanitaires des pesticides  

[2] Voir le Bilan énergétique de la France de 2019 et le rapport du Haut-Commissariat au Plan « La France est-elle une grande puissance agricole et agro-alimentaire » (2021) pour la dépendance aux intrants « intensifs » (engrais, carburants, machines et soja)

[3] - 73 milliards d’euros entre juin 2021 et mai 2021, voir les données du 2nd trimestre 2022 du Ministère de la transition écologique

[4] 1 Twh = 1 million de Mwh ou 1 milliard de Kwh (sur une consommation finale de 142 Mtep en 2019 soit environ 1650 Twh)

[5] Voir le rapport du Haut Conseil pour le Climat sur l’empreinte carbone de 2020

[6] Voir SDES « Panorama des émissions mondiales 2022 »

[7] Voir Cepii-Bellora dans Conversation Reste les principaux producteurs de fossiles qui préféreront très probablement « finir » de consommer leur rente, en particulier la Russie et le Moyen-Orient, le cas des Etats-Unis restant incertain.

[8] Voir SDES « Chiffres-clés des énergies renouvelables » (2021), Autorité de régulation des transports « Le marché français du transport ferroviaire de marchandises » (2018), et Agence Bio « L’agriculture bio dans l’UE » (2021).

[9] En dehors des grands groupes et banques impliqués dans les énergies fossiles et les activités les plus polluantes (voir le rapport « actifs fossiles, les nouveaux subprimes » publié par l’Institut Rousseau en 2021) ou des groupes bénéficiant des échanges « sans entrave » avec les pays les plus polluants (notamment le secteur du luxe en France et celui de l’automobile en Allemagne).

[10] En milliards d’euros par an (Md/an)

[11] Les CEE sont des subventions à la fois privées et publiques : les énergéticiens (ex. EDF, Engie ou Total) ont l’obligation de financer divers types de travaux « énergétiques » avec ces primes CEE, dont la valorisation a été augmentée par le gouvernement en 2017 et 2018, ce qui a permis en 2017 de développer les isolations de combles perdus à 1 euro (ces petits travaux coûtent souvent autour de 1000 € et peuvent donner droit à plus de 1000 € de CEE), puis les remplacements de chaudières à 1 euro. Ces subventions étant en partie privées et soutenant en majorité des petits travaux d’entretien et le remplacement de chaudières au gaz, elles ne relèvent pas des soutiens publics aux investissements de transition énergétique (voir la note « rénovation énergétique » pour plus de détails),

[12] Voir note sur le programme Macron et Le Grand Plan d’Investissement 2018-2022

[13] Notre analyse des dépenses « favorables » est proche de celle d’I4CE 2021, en dehors du cas des dépenses « historiques » de soutien aux Enr (engagées entre 2005 et 2015, donc sans lien avec les politiques menées depuis 2017 et fortement liées aux prix de marché, voir note Energie) et des soutiens au nucléaire (bas-carbone mais non durable). Pour les dépenses défavorables, nous avons ajouté aux dépenses fiscales listées par I4CE et le RAC, les subventions directes (notamment agricoles), ainsi que les avantages liés aux tarifs (des infrastructures et de l’énergie) et aux imports « intensifs ».

[14] Voir les rapports I4CE 2019 et 2021 et RAC 2021

[15] Voir notre note « Politiques agricoles : l’agriculture intensive et les importées toujours abondamment soutenues » publiée sur le site d’Agir Pour le Climat (2022)

[16] Voir l’étude Ademe coût des Enr 2019 et les évaluations du Fonds chaleur du CGEDD/CGE (2018) et de l’Ademe/Atema (2019)

 

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Bonjour et juste merci ��.
Si difficile de se repérer… comment le tout public peut il comprendre connaître et se situer… bien évidemment les maires ou responsables de zones locales méritent de pouvoir vous �� lire.

Nicolas Desquinabo a dit…

Merci à vous pour ce commentaire