jeudi 22 décembre 2022

Rénovation énergétique : quasiment tout pour le low-cost (2/6)

Principal enjeu énergétique en France, les bâtiments représentent 45% de la consommation d’énergie finale (environ 720 des 1650 Twh consommés en 2019), dont la moitié provient de pétrole et de gaz importés (chiffres-clés).

De plus, parmi les 30 millions de résidences principales, au moins 6 M de ménages sont en situation de précarité énergétique : ils dépensent plus de 10% de leur revenu pour le chauffage et/ou souffrent du froid (Onpe 2016), voire résident dans des logements indignes (dangereux et/ou sans confort). Autre enjeu longtemps sous-estimé, l’utilisation massive d’électricité pour le chauffage explique plus d’un tiers du pic électrique français, de loin le plus élevé d’Europe (bilan RTE).

Présenté fin avril 2018, le plan de rénovation des bâtiments a repris les objectifs du gouvernement précédent (« rénover 500 000 logements par an dont 100 000 logements sociaux »), avec la perspective de rénover chaque année 150 000 des 4 millions de « passoires thermiques » (étiquettes énergie F ou G) occupées par des ménages « modestes » (les 40% ayant les revenus les moins élevés). A long terme, l’objectif est d’amener à la « basse consommation » (70 à 100 kwh/m²/an) l’ensemble des logements d’ici 2050 (en priorité ceux construits sans isolation avant la première réglementation thermique de 1975).

Principaux objectifs, montants et résultats des dispositifs de rénovation énergétique 


Sources : Dépenses fiscales (Voies et moyens II), Bilans Anah (dont MPR 2021), Bilan 4ème période des CEE, Bilan aides travaux ONRE, Bilan Fonds d’épargne et bâtiments publics  *Une rénovation « performante » permet un gain de consommation d’au moins deux étiquettes énergie (en passant par exemple de E à C) soit -15 à -25 Mwh/an (Sichel/DHUP) **Mm²/an = millions de m² par an

Loin des 500 000, environ 200 000 rénovations énergétiques « performantes* » de logements privés sont terminées chaque année (en intégrant les travaux étalés sur 2 à 3 ans, Open 2015 et Tremi 2018). En ajoutant 50 à 80 000 rénovations performantes de logements sociaux par an, le total atteint au mieux 60% de l’objectif visé, mais en réalité moins de la moitié compte tenu du retard pris depuis 10 ans (il faudrait dorénavant au moins 700 000 rénovations performantes par an). Plus globalement, les consommations des bâtiments diminuent lentement : - 0,5% /an à climat constant, contre - 2% de baisse annuelle attendue.

Malgré ce retard, les moyens globaux de cette politique ont été réduits d’environ 1 Md/an entre 2017 et 2019 (soit – 20% de 6 Mds /an en 2016-2017), y compris en intégrant la montée en charge des Certificats d’économie d’énergie (CEE, voir détails plus loin). Depuis 2021, les moyens sont revenus au niveau de 2017, mais nous allons voir qu’au-delà des montants totaux d’aides (publiques et « privées » s’agissant des CEE), ce sont les modalités des aides et des tarifs, ainsi que les concurrences entre les aides qui sont en cause.

 

Les « inversions » : aubaines à 1 euro, tarifs régressifs et soutien des malfaçons

La concurrence entre dispositifs constitue le principal frein à la mobilisation des aides aux rénovations énergétiques performantes des logements. En effet, les aides aux rénovations performantes sont concurrencées par des aides supérieures pour des travaux pourtant moins ou peu performants (ex. combles ou chaudières à 1 euro) et dont l’efficacité est limitée (les effets d’aubaine sont très majoritaires).

Globalement, les soutiens aux « petits travaux » de Ma prime rénov’ (MPR, qui remplace le crédit d’impôt transition énergétique - CITE), des Certificats d’économie d’énergie (CEE[2]) et de la TVA réduite (à 5,5%) sont toujours 6 fois supérieurs[3] aux soutiens des rénovations performantes (par le programme Habiter Mieux et certaines aides locales). Une partie substantielle de ces petits travaux sont même des installations de chaudières au gaz, majoritaires au sein des opérations « Coup de pouce à 1 euro » jusqu’à fin 2021 (jusqu’à 30 000 chaudières au gaz par mois fin 2019 selon les bilans des lettres d’info CEE) :

Autre forme de soutien aux petits travaux, voire à l’absence de travaux, la tarification « régressive » des énergies implique des prix plus élevés pour les consommations réduites (et inversement). Cette tarification rend les rénovations énergétiques deux fois moins rentables que si les tarifs étaient « progressifs » et dissuade la modération des consommations. En 2019, le prix du gaz pour les logements était de 70 €/Mwh pour les grosses consommations contre 100 €/Mwh pour les plus petites consommations, alors qu’une variation des prix de - 30% implique + 10% de consommation selon les études du CGEDD. Les prix des consommations élevées étant de 20 à 30% inférieurs aux prix des consommations réduites, cela équivaut à un avantage d’au moins 3 Mds par an sur les 15 Mds  de gaz dépensés pour le chauffage des bâtiments (en 2019, voir bilan énergie), qui s’ajoutent aux 4 Mds € par an de soutiens aux petits travaux :

Sources : Projet de loi de finance 2019 – dépenses fiscales, lettres d’info CEE  et bilan énergie

 

Voyons l’effet des aides « inversées » à l’échelle individuelle : un ménage modeste qui engage une isolation permettant 30 à 40% de gains énergétiques doit assumer un reste à charge moyen dépassant 10 000 après les aides nationales (Anah). En comparaison, son reste à charge sera inférieur à 1000 si il se limite à un changement de sa chaudière à gaz (après aides Anah et CEE bonifiés) ou à  « 1  » si il opte pour une isolation de ses combles perdus (après CEE bonifiés). Pourtant, ces deux derniers types de travaux ne permettent que 10 à 15% de gain énergétique… à condition qu’ils soient réalisés sans malfaçon.

Les effets des aides à la rénovation sur les restes à charge de différentes options


 *Sources : Ademe prix et Rapport Sichel (ex. maison de 100m², ménage modeste)

Plus généralement, les études récentes du ministère du logement soulignent que les aides sont supérieures pour les travaux réalisés « un par un » que pour les rénovations globales ou cumulant plusieurs types de travaux (Sichel-DHUP 2020). En conséquence, moins de la moitié des rénovations « très performantes » (gain de plus de 50%, avec des coûts de 20 à 50 000 ) sont rentables avant 15 ans, voire 20 ans pour la grande majorité des rénovations globales atteignant le niveau basse consommation, y compris après aides publiques. Les rares cas rentables avant 15 ans sont les rénovations de maisons très énergivores par les ménages fortement aidés ou les immeubles des années 60-70 qui sont peu coûteux à isoler. C’est pourquoi ces travaux nécessitent des aides importantes, qui ont une efficacité forte (lorsqu’elles existent), notamment pour les ménages modestes. Ces aides ciblées permettent alors d’ajouter des travaux non prévus, jusque dans 80% des cas pour l’isolation des murs des copropriétés des années 60-70 (Anah-Geste 2017).

Inversement, les effets d’aubaine concernent jusqu’à 80% des petits travaux, qui se font généralement avec ou sans aide, en particulier les changements de chaudières (CGDD CITE 2015) ou de fenêtres (qui représentaient près de 40% des dépenses publiques en 2015 CGEDD/IGF 2017). Pourtant, les impacts énergétiques de ces petits travaux sont limités et leurs renouvellements sont réalisés périodiquement avec ou sans aide. En conséquence, l’effet principal de ces aides aux petits travaux est généralement un simple avancement de leur date. Par exemple, 37% des utilisateurs du crédit d’impôt pour leurs fenêtres avaient uniquement avancé la date de travaux déjà prévus, seuls 8% avaient engagé des travaux non envisagés (CGDD 2015 p.79).

 

Une aggravation récente des fraudes et malfaçons

Les effets d’aubaine importants, combinés à une absence de contrôle, entraînent également une explosion des fraudes et des malfaçons. Depuis 2017, le développement des offres d’isolation des combles puis des chaudières à « 1 euro » a été  rendu possible par la revalorisation et la bonification des CEE. Ces primes disproportionnées (ex. 1000 € pour les combles qui coûtent souvent moins de 1000 €) se sont traduites par une forte croissance des travaux non pertinents et surfacturés, une explosion des pratiques illégales (CGEDD RGE) et le déploiement d’escrocs en bande organisée (Douanes et Tracfin[4]). Malgré les tentatives de minimisation par le gouvernement, le Bilan de la 4ème période des CEE souligne que les fraudes et malfaçons concernent au moins 30% des chantiers financés par les CEE (31% d’un échantillon aléatoire de 300 000 travaux combles et planchers et 50% d’un échantillon de 10 000 contrôles réalisés en 2021, dont une partie de manière aléatoire). La quasi-absence de contrôle de ces travaux et le niveau trop élevé des subventions impliquent également :

o   De l’inflation pour les travaux ciblés, dont les coûts ont augmenté compte tenu du niveau trop élevé des subventions (comme lors de l’essor du photovoltaïque au début des années 2010) ;  

o   Des travaux dont les impacts énergétiques sont nettement plus limités qu’attendu en raison de la surestimation des gains réels par les « fiches CEE » (CEE Mines PSL), qui s’ajoutent aux malfaçons, aux sur-déclarations de surfaces… et aux travaux inexistants ;

o   Des nuisances sonores en explosion (UFC 2023), aggravées par les installations inadaptées de Pompes à chaleur (PAC), qui sont devenues la 1ère source de conflits de voisinage ;

o   Des impacts négatifs sur la « pointe électrique » y compris en l’absence de malfaçon (Cler/Negawatt 2022), dans la mesure où les PAC fonctionnent très mal dans les maisons non isolées lorsqu’il fait froid, alors que la pointe hivernale pose déjà des difficultés majeures (voir politiques énergie) ;

o   Des primes captées à 25% par divers intermédiaires, alors qu’elles sont répercutées sur les factures d’énergie, soit plus d’1 Md €/an capté sur un total d'environ 4 Mds de CEE répercutés sur les factures en 2021 selon l’évaluation des CEE (qui concernent en majorité les logements, mais également les travaux d'efficacité énergétique pour les bâtiments tertiaire et l'industrie)

Cette politique imite en particulier l’expérience anglaise des ECO, qui a pourtant montré des limites importantes : seuls les travaux les plus rentables étaient financés par les fournisseurs d’énergie, au prix d’une forte hausse des prix de l’électricité et d’un maintien des chauffages au gaz (voir étude du HCC). 

 

Quasiment rien pour les bâtiments tertiaires

Les bâtiments tertiaires (bureaux, commerces, écoles, etc.), qui représentent 35% de la consommation énergétique des bâtiments et 27%des surfaces chauffées, restent ciblés de manière marginale par les politiques de rénovation énergétique :

- Le tertiaire privé (2/3 des surfaces) n’utilise qu’environ 200 M d’euros par an de CEE depuis 2018, sans bilan détaillé disponible. L’Etat et les collectivités semblent davantage investir, mais les bilans permettent rarement de distinguer les travaux non-énergétiques. Par exemple, les rénovations des cités administratives et universités incluent de coûteux travaux de mise aux normes (accessibilité, électricité, désamiantage, ventilation, etc.), ainsi que des démolitions ou restructurations. Au mieux, les travaux énergétiques représenteraient 38% des 710 M investis dans la rénovation des bâtiments scolaires par l’Etat et les collectivités en 2018 selon le rapport sur les bâtiments scolaires. 

- L’ensemble du tertiaire est soumis depuis 2019 à une « obligation » de réduction de ses consommations, mais celle-ci est triplement limitée : elle ne concerne que les propriétaires de bâtiments > à 1000m², elle a été repoussée à 2030 avec de multiples dérogations et quasiment aucune sanction ne semble prévue en cas de non-respect. Une obligation en réalité peu obligatoire…

      - Les soutiens de l’Etat à la rénovation des bâtiments tertiaires des collectivités territoriales ont été longtemps limités à une offre de prêt à 1,5%, alors que les taux de marché étaient inférieurs pour la plupart des collectivités (!). Pourtant, ces opérations ne sont rentables qu’à très long terme compte tenu de l’utilisation souvent limitée de ces bâtiments (en particulier les écoles). Des projets s’étaient récemment développés grâce au prêt à taux zéro « croissance verte » (1,5 Md en 2016-2017), mais ceux-ci se sont effondrés depuis la fin de ces PTZ (à moins de 50 M € par an en 2018-2019, contre 500 M € mis en avant par le Grand Plan d’Investissement de 2018-2022). Des dotations de l’Etat sont également proposées depuis à hauteur de 200 M € par an, mais seulement 30 à 40% des dotations à l’investissement sur les bâtiments scolaires concernent les rénovations énergétiques selon le rapport sur les bâtiments scolaires (pp.68-69), qui juge « très décevants » les résultats de ce plan.

Seule amélioration depuis 2019, les investissements de l’Etat semblent en hausse, mais les gains annoncés pour le programme de « Relance » ne correspondent qu’à l’équivalent de 10 000 rénovations performantes de logements par an. Les moyens mobilisés sont donc encore loin des besoins, ce qu’a souligné le nombre 2 fois plus élevé des demandes de financements pour les universités. Le potentiel d’économies d’énergie dans l’ensemble du tertiaire reste donc immense, mais les moyens dérisoires ou peu adaptés.

Dans le prochain volet de cette série, nous verrons que ces inversions de la politique de rénovation énergétique ont des impacts peu connus et pourtant majeurs sur la politique de production d’énergie, en particulier s’agissant de la contrainte du « pic de consommation ».



[1] 1 Twh (Térawattheure) = 1 million de Mwh (Mégawattheure) ou 1 milliard de Kwh (Kilowattheure)

[2] Les énergéticiens (ex. EDF, Engie ou Total) ont l’obligation de financer divers types de travaux « énergétiques » avec des primes CEE, dont la valorisation a été augmentée récemment, ce qui permet par exemple de bénéficier d’une isolation des combles perdus à 1 euro (ces petits travaux coûtent souvent autour de 1000 € et peuvent donner droit à plus de 1000 € de CEE)…

[3] Environ 3 Mds d’euros par an de CITE (puis de MPR) cumulés aux CEE résidentiels qui s’ajoutent à une moyenne de 1,5 Md de TVA réduite contre 0,6 à 0,8 Md d’euros par an d’aides Habiter mieux et équivalentes (voir tableau et sources plus haut)

[4] Malgré son classement en « fraude majeure prioritaire » par Tracfin, les sanctions les plus élevées pour les fraudes « à 1 euro » notées par la Dgccrf dans son bilan 2021 restent inférieures à 25 000 euros par société condamnée au pénal

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