samedi 20 octobre 2018

Priorités pour l’évaluation du programme Macron

Quels impacts des principales mesures du gouvernement ? Il est évidemment trop tôt pour l’évaluer, mais il va bientôt être possible d’évaluer les effets des principaux axes du programme mis en œuvre depuis mi-2017 :
1.   La stratégie centrale vise à obtenir un développement des emplois grâce à l’augmentation  d’investissements financiers « stimulés » par la baisse de leur fiscalité, en faisant l’hypothèse que ces investissements supplémentaires produiront des emplois supplémentaires en France ;
2.   Cette stratégie s’accompagne de mesures réglementaires et de soutiens à des formations qui doivent augmenter les compétences et recrutements, en réduisant les « coûts des licenciements » (ordonnances travail) en « échange » d’une augmentation des droits et protections (ex. droits démissionnaires et bonus-malus sur les contrats courts), ainsi qu'en « adaptant » la qualification de demandeurs d’emploi (Plan d’Investissement Compétences - PIC) pour qu’ils pourvoient les emplois supposés « vacants » ;
3.    Les autres secteurs sont nettement moins investis par les dispositifs et programmes de Macron qui sont à ce jour très similaires à ceux de Hollande (voir tableau plus bas), même si différentes améliorations des « accès » sont attendues, notamment pour les formations (via les modifications du Compte Personnel de Formation) et pour les soins (via la mise en place des « restes à charges 0 » sur certaines prothèses et lunettes)

1. La stratégie de développement économique est donc centrée sur la réduction des fiscalités des revenus financiers, notamment celle de l’impôt sur les sociétés (pourtant souvent oubliée dans les débats, malgré son importance et sa continuité avec la stratégie de Hollande). Pour estimer les emplois supplémentaires produits au final par ces réductions fiscales, il faudra pouvoir prouver que ces réductions ont successivement eu comme conséquences :
o   Une augmentation des investissements financiers de la part des ménages bénéficiaires de réductions d’impôts (français et étrangers actionnaires d’entreprises imposées en France) ;
o   Une utilisation par les entreprises bénéficiaires de ces apports financiers (ou des réductions de leur imposition des bénéfices) pour investir dans de nouvelles implantations ou développer des sites existants (en général et en France en particulier) ;
o   Des recrutements de salariés français pour accompagner ces développements d’activités, avec une concurrence concentrée sur des sites économiques situés à l’étranger.


*Pour les montants, voir les documents budgétaires 2018 et les montants à moyen terme pour l’IS. A ces montants s’ajouteront ceux de l’exit tax qui restent à ce jour peu précis (voir audition commission des finances du 12 juin 2018)

La difficulté sera donc de démontrer les liens directs et successifs entre réduction de la fiscalité, investissements financiers, développement de sites en France et recrutements associés. En effet, la simple augmentation du nombre ou de la taille des entreprises et des emplois peut surtout s’expliquer par d’autres facteurs :
o   Un accès à des infrastructures de qualité motivant l’implantation ici ou là (ex. infrastructures routières pour la logistique, portuaires ou ferroviaires pour l’industrie lourde…) ;
o   La hausse à court ou moyen terme de la demande en général ou dans certains secteurs importants (ex. tourisme, construction, automobile…), au niveau international et/ou national ;
o   Les conséquences du Brexit, en particulier pour le secteur financier (dont les implantations au Royaume-Uni ne pourront plus exporter leurs services) ou pour les sites industriels exportateurs (compte tenu du risque d’augmentation des droits de douane), etc.
Enfin, l’ensemble devra être estimé « hors transferts » entre emplois des différentes entreprises du territoire national. En effet, si les sites bénéficiaires des investissements supplémentaires se développent en captant des parts de marché d’autres entreprises implantées en France (totalement ou principalement), l’effet global sur l’emploi sera donc nul pour un coût public de plus de 15 Mds d’euros par an. Et ceci d’autant plus que ces dépenses publiques ne ciblent pas des activités dont les emplois supplémentaires sont davantage « nets » en raison de leur densité en emploi et/ou des importations évitées (notamment dans les domaines de la rénovation énergétique ou des transports ferrés, qui bénéficient en réalité d’une partie limitée des soutiens supplémentaires affichés dans le Grand plan d’investissement, voir plus bas).

2. En complément de cette stratégie, il faudra pouvoir évaluer si des recrutements supplémentaires ont été ou seront réalisés (notamment en 2018 et 2019), en lien direct avec :
o   La réduction du coût des licenciements (pour toutes les entreprises en cas de condamnation aux prud’hommes, en utilisant des CDD dérogatoires dans les secteurs précédemment non concernés, en facilitant les licenciements économiques pour les multinationales…) ;
o   La formation puis la qualification de certains demandeurs d’emploi (Plan d’Investissement Compétences) pour qu’ils pourvoient ensuite les emplois supposés « vacants » ;
Parmi les nombreuses difficultés pour évaluer les effets des ordonnances travail sur les pratiques d’emploi des entreprises, on citera notamment :
o   L’absence de données sur l’évolution « globale » de l’emploi (direct et indirect) des entreprises utilisant (ou non) les possibilités de ces ordonnances (par exemple, les changements de recours à la sous-traitance ou l’utilisation de groupements d’employeurs ne sont pas « vus » par les données d’emploi) ;
o   Les facteurs « très favorables » associés à la signature d’accords d’entreprises (ex. culture RH des dirigeants, contexte économique spécifique) qui rendent impossible la comparaison fiable de données économiques entre entreprises (ex. avec/sans accords) ;
o   Les doutes sur les justifications de leurs licenciements économiques par les multinationales compte tenu des soupçons d’ « abus de droit » (création de difficultés artificielles intra-groupes). 

Par ailleurs, l’évaluation des effets sur les emplois « non pourvus » de l’adaptation des compétences des demandeurs d’emploi devra prendre en compte les principaux « autres » facteurs expliquant ces emplois non pourvus, notamment les conditions (horaires, rémunérations…) et la localisation de ces emplois (Synthèse COE). En effet, les qualifications jouent généralement un rôle mineur dans la plupart des domaines d’emploi (Dares 2005, Prao 2007), dont notamment ceux les plus en tension (restauration, salariés agricoles, aide à domicile et aides soignants, voir Enquête BMO). Les difficultés d’« adéquation » entre diplôme et métier étant plutôt constatées pour les métiers dont l’accès est réglementé par le diplôme (notamment dans les métiers qualifiés de la santé) et pour les métiers de l’artisanat (fortement liés à l’apprentissage).

Plus globalement, cette stratégie de « flexibilisation » des emplois est proposée « en échange » de moyens de formation supplémentaires, pour les demandeurs d’emploi (PIC), salariés (voir CPF plus bas) et jeunes (alternance et université) et de droits et protections supplémentaires, notamment l’accès aux allocations chômage suite à des démissions et l’instauration d’un bonus-malus dissuadant l’utilisation de contrats courts. L’évaluation de cette stratégie globale devra ainsi à la fois préciser les effets en termes de création d’emplois durables (qui devront être favorisés par le bonus-malus et des compétences plus adaptées) et d’accès plus large aux formations et d’élévation globale des niveaux de qualification.

3. Les autres secteurs sont donc nettement moins investis par les nouveaux dispositifs et orientations financières du gouvernement. En effet, la plupart des lignes du « Plan d’investissement », qui devait équilibrer et compléter la « stratégie des fiscalités financières », sont des  dépenses déjà programmées par Hollande ou identiques à celles des années précédentes :

Axes du Plan d’investissement
Montants affichés      (Mds euros/an)*
Dont prêts  (Mds euros/an)*
Enveloppes déjà programmées ou identiques à 2017 (Mds euros/an)
Subventions supplémentaires effectives  (Mds euros/an)
Transition écologique
4
1,1
2,1**
 0,8**
Compétences
2,9
-
2***
    0,8***
Innovation
2,6
0,5 ? (BPI et BEI)
2 ?  (Plan Invest. d’Avenir 3 + Feader)
0,2
Etat et numérique
1,9
-
1,1
0,7 dt 0,6 pour projets hospitaliers e-santé ?
Totaux
11,4
~ 1,5
~ 7
~ 2,5
*Rapport « Grand plan d’investissement » (voir notamment pp.14 et 26-27)

**Déjà programmé ou identique à 2017 = 0,25 Md/an (Anah) + 0,5 (Ferroviaire) + 1 (Eolien Offshore) + 0,3 (PIA 3) vs. a priori « supplémentaire » = 0,35 (Bâtiments Etat) + 0,15 (Prime auto) + 0,15 (Routes) + 0,15 (Fonds chaleur)

*** Déjà programmé ou identique à 2017 = 1,4 Md/an (formations pour 200 000 chômeurs peu qualifiés par an) + 0,4 (Garantie jeunes et Accompagnement des jeunes Pôle Emploi pour + 40 000 jeunes chaque année) + 0,2 (PIA 3) vs. a priori « supplémentaire » = 0,8 (préformations ou « relationnelles » pour 150 000 jeunes supplémentaires par an) ?

En dehors de ce plan d’investissement très limité, différentes améliorations des « accès » sont attendues, notamment pour :
o   Les formations, via le PIC (voir plus haut), la réforme de l’apprentissage et des licences ou le passage du Compte Personnel de Formation en euros (CPF). Par exemple, ce dernier dispositif (accordant aux personnes sans qualification jusqu’à 800 euros par an plafonnés à 8000 euros vs. 500 euros plafonnés à 5000 euros pour les autres salariés), devra donc être utilisé par les personnes sans qualification en priorité. Sachant que pour les CDD et les temps partiels inférieures au mi-temps, les droits restent limités à leur temps de travail annuel et que pour les CDI diplômés, les droits précédents de 25 heures par an étaient en fait plus élevés dans de nombreux cas compte tenu des prix horaires moyens(pour la plupart entre 30 et 50 euros/heure, voir Cnefop 2017). Les effets de l’absence de compensation des rémunérations et du cadre « hors du temps de travail » de ces formations, ainsi que l’effectivité de leur choix par le salarié (vs. par leur employeur) et les transferts entre types de financements des formations devront en particulier être évalués pour préciser les progrès effectifs de ces « accès » ;
o   Les soins, via les « restes à charges zéro » sur les prothèses et lunettes, avec une réduction attendue des « renoncements » (ex. à une prothèse dentaire) parmi les 4,7 M de français ayant renoncé à une prothèse dentaire et 2,1 M à une prothèse auditive. L’évaluation de cette mesure devra notamment porter sur son efficience (rapport coût/efficacité), dans la mesure où la réduction des renoncements est très probable (notamment pour les prothèses dentaires et auditives, dont le reste à charge moyen est supérieur à 500 euros), mais elle a été obtenue en concédant une revalorisation des tarifs de soins dentaires (estimés à 1,3 Mds d’euros sur 5 ans) et sans garantie sur l’absence de hausse des tarifs sur les « paniers de soin » non plafonnés et surtout des cotisations des complémentaires santé (qui ont déjà augmenté de 47% en 10 ans) ;


Pour la plupart des axes du programme de Macron, l’évaluation rigoureuse de leurs effets et impacts sera donc plutôt difficile à mener et devra attendre encore 1 à 3 ans pour avoir suffisamment de recul. En revanche, l’estimation des impacts socio-économiques ou « redistributifs » de ce programme peut déjà être initiée, notamment par les instituts disposant de données détaillées sur les bénéficiaires. Mais peu de surprises sont à attendre sur cette question compte tenu des cibles et ordres de grandeurs des principales mesures engagées : l’impact risque d’être fortement « anti-redistributif »  avec des pertes de plus de 1000 euros/an pour les ménages modestes les plus exposés (ex. retraités « moyens » et salariés gros consommateurs de carburants) vs. des gains de plus d’1 milliard d’euros par an pour les plus gros patrimoines, dans la mesure où :
o   Les 15 Mds d’euros/an sur les patrimoines et revenus financiers bénéficient pour l’essentiel aux 1% des plus aisés, auxquels s’ajoutent une partie des +ou- 7 Mds d’euros/an de réduction des cotisations salariales (déduite de l’augmentation de la CSG) qui bénéficient principalement aux 20% les plus aisés (de manière « proportionnelle », à hauteur de 1,45% du salaire brut) ;

o   Alors que les augmentations de la CSG impactent principalement les retraités « moyens » (au moins 6 Mds d’euros/an en incluant les revenus fonciers) et que les hausses prévues d’ici 2022 des fiscalités du tabac (5 Mds d’euros/an) et des carburants (14 Mds d’euros/an hors TVA) vont majoritairement impacter des ménages moyens ou modestes, notamment en milieu rural ou périurbain.
Le détail pourra être précisé en prenant en compte les effets des hausses de fiscalités sur les consommations de tabac et essence (sachant que les évaluations budgétaires font plutôt l’hypothèse d’une quasi-absence de réduction des consommations, y compris sur le tabac…), même si la réduction de consommation strictement imputable à ces hausses tarifaires sera difficile à préciser (il faudra déduire en particulier les hausses des achats à l’étranger ou sur le marché illégal…)

Aucun commentaire: