mercredi 13 avril 2022

Premières évaluations du programme Macron (3/3) : conclusions

En conclusion, les premières évaluations des politiques menées depuis 2017 soulignent une efficacité globalement limitée des principaux dispositifs mis en œuvre, ainsi que plusieurs impacts négatifs. Trois ensembles de cas peuvent être distingués :

1. Dans le cas de l’emploi, des évolutions sont favorables, mais celles-ci ne sont attribuables qu’à la marge aux politiques menées, malgré un coût extrêmement élevé : plus de 70 Mds € pour la seule année 2021 (plus de 40 Mds/an de baisse des prélèvements + 25 Mds d’aides versées aux secteurs non concernés par les fermetures (Comité de suivi) + 5 Mds d’aide exceptionnelle à l’apprentissage) ;

2. Dans les cas de l’énergie, de l’agriculture et des transports, les résultats décevants sont souvent liés à des politiques insuffisantes au regard des évolutions économiques « défavorables » (prix des fossiles, mode des SUV, etc.) et parfois à des soutiens « inversés », en faveur du chauffage au gaz, des cultures intensives ou des diesels d’occasion ;

3. Dans les autres cas, l’aggravation des problèmes d’accès (au logement, à la formation ou aux soins de qualité) est directement liée aux décisions du gouvernement, avec des impacts lourds en termes de pouvoir d’achat. La période était en effet plutôt favorable à la production de logement dans les zones tendues et à la hausse des investissements publics dans la formation.

Ce manque d’efficacité de la plupart des politiques conduites depuis 2017 s’est accompagné d’une redistribution « inversée » comme cela était prévisible au regard du programme (voir notre note de 2018). Les travaux récents de l’IPP ont permis de préciser que les 1% les plus riches ont gagné 3500 euros par an en lien direct avec les mesures prises, alors que le « gain » est inférieur à 300 euros pour la majorité des individus et négatif pour les plus modestes :

De plus, ces gains « directs » ont été complétés par une hausse « indirecte » des inégalités de revenus, via la hausse des prix immobiliers (stimulés par la chute de la production de logement) et des dividendes (augmentés par la baisse des prélèvements et par les aides à l’activité partielle). A l’inverse, le pouvoir d’achat « réel » des ménages moyens et modestes s’est réduit, dans la mesure où l’inflation ne prend pas en compte les prix immobiliers (alors que les charges d’emprunt augmentent malgré les taux bas).

Au-delà des inégalités de revenus, les inégalités de patrimoine sont nettement plus importantes et ont fortement augmenté en France depuis 2017 : le patrimoine des 5% les plus aisés (près de 40% du patrimoine total des ménages en 2018) a augmenté 3 fois plus vite que précédemment, avec un gain d’au moins 700 000 sur 3 ans (environ +1000Mds / 1,5M de ménages). Les +21 000 euros d’épargne en 2020 Insee patrimoines n'étant qu'une petite partie de l'enrichissement. Plus largement, cette politique visant à réduire la fiscalité des entreprises et des gros patrimoines s’inscrit dans une tendance qui a débuté dans les années 80, avec 3 impacts historiques majeurs :

1. Une captation de la quasi-totalité de la richesse « créée » par les 10% les plus aisés, dont près de 40% par les seuls 1% à l’échelle mondiale depuis 1995 (Rapport inégalités mondiales). En France, les 10% captent 60% du patrimoine total en 2020 (contre 53% en 1990) et les 1% (500 000 personnes adultes) en captent 27% (contre 18% en 1990). Cette tendance s’est accentuée depuis 2017 avec les hausses de l’immobilier et des actifs financiers stimulées, par les plans de relance et les taux d’intérêts limités. A l’échelle mondiale, les seuls 2700 milliardaires ont vu leur patrimoine passer de 2,2 à 3,3% de la richesse totale entre 2019 et 2021 et les 20 premiers sont passés d’une fortune totale de 1100 à 1700 Mds $ en 2021. Les 42 français milliardaires sont particulièrement bien lotis, avec près de 30% du total mondial en 2021 (510 Mds $), la hausse sur 2021 étant encore plus incroyable qu’à l’échelle mondiale (+65%) : de 277 à 510 Mds, soit +84%. Un doublement des très hauts patrimoines en 1 an, du jamais vu dans l’histoire de l’humanité.

2. Un transfert progressif du patrimoine net public (passé de plus de 100% du revenu national annuel en 1970 à +/- 20% aujourd’hui dans la plupart des pays développés hormis en Norvège) au patrimoine privé (passé sur la même période d’environ 300% à 600% du revenu national en France ou aux Etats-Unis), en raison de la hausse de l’immobilier et des bourses, des réductions et des évasions fiscales, ainsi que des privatisations des secteurs profitables (autoroutes, soins simples, assurance-retraite, etc.).

3. Ces inégalités croissantes sont l’explication centrale des freins massifs à la transition écologique. En effet, les 10% les plus riches sont responsables de 30 à 50% des émissions de gaz à effet de serre, y compris à l’intérieur de chaque pays. A l’inverse les 50% les plus pauvres de chaque pays (hors Amérique du nord) ont déjà atteint les objectifs « individuels » de réduction des émissions, le total de l’empreinte des 50% étant inférieure, voire très inférieure à celle des seuls 10% les plus riches, pourtant 5 fois moins nombreux :


Or cette empreinte très importante des plus riches est liée à leur mode de vie mais également à leurs revenus financiers. En effet, les actifs liés à l’exploitation des fossiles, aux produits énergivores et à l’agriculture intensive constituent une part majeure des gros patrimoines et du bilan des banques. La plupart des banques seraient donc en faillite en cas d’accélération de la transition, leurs actifs devenant "échoués". Le verrou au changement n’est donc pas mince : une réduction rapide de l'empreinte carbone implique des pertes de patrimoines élevées et des restrictions majeures au mode de vie des plus aisés de chaque pays. 

Cette donnée fondamentale explique deux gigantesques paradoxes actuels : 1/ la focalisation des débats sur la nécessité de "restrictions" pour le plus grand nombre, malgré l'efficacité nettement supérieure d'autres types de changements (voir note "illusions des moyennes et des restrictions" à venir) et 2/ le choix délibéré de politiques publiques qui dissuadent globalement les transitions écologiques, y compris dans des pays comme la France dont les pertes (économiques et stratégiques) liées aux importations de fossiles sont pourtant massives et croissantes.


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