1. La
stratégie centrale vise à obtenir un développement des emplois grâce à
l’augmentation d’investissements
financiers « stimulés » par la baisse de leur fiscalité,
en faisant l’hypothèse que ces investissements supplémentaires produiront des
emplois supplémentaires en France ;
2. Cette
stratégie s’accompagne de mesures réglementaires et de soutiens à des
formations qui doivent augmenter les compétences et recrutements,
en réduisant les « coûts des licenciements » (ordonnances travail) en « échange »
d’une augmentation des droits et protections (ex. droits démissionnaires et
bonus-malus sur les contrats courts), ainsi qu'en « adaptant » la qualification de demandeurs d’emploi (Plan
d’Investissement Compétences - PIC) pour qu’ils pourvoient les emplois supposés « vacants » ;
3. Les
autres secteurs sont nettement moins investis par les dispositifs et programmes de Macron
qui sont à ce jour très similaires à ceux de Hollande (voir tableau plus bas), même si différentes améliorations des
« accès » sont attendues, notamment pour les formations (via les modifications du Compte Personnel de
Formation) et pour les soins (via la mise en
place des « restes à charges 0 » sur certaines prothèses et lunettes)
1. La
stratégie de développement économique est donc centrée sur la réduction des fiscalités des revenus financiers, notamment celle
de l’impôt sur les sociétés
(pourtant souvent oubliée dans les débats, malgré son importance et sa continuité
avec la stratégie de Hollande). Pour estimer les
emplois supplémentaires produits au final par ces réductions fiscales, il
faudra pouvoir prouver que ces réductions ont successivement eu comme
conséquences :
o
Une augmentation des investissements financiers
de la part des ménages bénéficiaires de réductions d’impôts (français et
étrangers actionnaires d’entreprises imposées en France) ;
o
Une utilisation par les entreprises bénéficiaires
de ces apports financiers (ou des réductions de leur imposition des bénéfices) pour
investir dans de nouvelles implantations ou développer des sites existants (en
général et en France en particulier) ;
o
Des recrutements de salariés français pour
accompagner ces développements d’activités, avec une concurrence concentrée sur
des sites économiques situés à l’étranger.
*Pour
les montants, voir les documents
budgétaires 2018 et les montants à moyen
terme pour l’IS. A ces montants
s’ajouteront ceux de l’exit tax qui restent à ce jour peu précis (voir audition
commission des finances du 12 juin 2018)
La difficulté sera donc
de démontrer les liens directs et successifs entre réduction de la fiscalité,
investissements financiers, développement de sites en France et
recrutements associés. En effet, la
simple augmentation du nombre ou de la taille des entreprises et des emplois
peut surtout s’expliquer par d’autres facteurs :
o
Un accès à des infrastructures de qualité
motivant l’implantation ici ou là (ex. infrastructures routières pour la
logistique, portuaires ou ferroviaires pour l’industrie lourde…) ;
o
La hausse à court ou moyen terme de la demande en
général ou dans certains secteurs importants (ex. tourisme, construction,
automobile…), au niveau international et/ou national ;
o
Les conséquences du Brexit, en particulier pour
le secteur financier (dont les implantations au Royaume-Uni ne pourront plus exporter
leurs services) ou pour les sites industriels exportateurs (compte tenu du
risque d’augmentation des droits de douane), etc.
Enfin, l’ensemble devra être estimé « hors
transferts » entre emplois des différentes entreprises du territoire national.
En effet, si les sites bénéficiaires des investissements supplémentaires se
développent en captant des parts de marché d’autres entreprises implantées en France
(totalement ou principalement), l’effet global sur l’emploi sera donc nul pour
un coût public de plus de 15 Mds d’euros par an. Et ceci d’autant plus que ces dépenses publiques ne ciblent pas des
activités dont les emplois supplémentaires sont davantage « nets » en
raison de leur densité en emploi et/ou des importations évitées (notamment dans
les domaines de la rénovation énergétique
ou des transports ferrés, qui bénéficient en réalité d’une partie limitée des
soutiens supplémentaires affichés dans le Grand plan d’investissement, voir plus bas).
2.
En complément de cette stratégie, il faudra pouvoir évaluer si des recrutements
supplémentaires ont été ou seront réalisés (notamment en
2018 et 2019), en lien direct
avec :
o
La
réduction du coût des licenciements (pour toutes les
entreprises en cas de condamnation aux prud’hommes, en utilisant des CDD
dérogatoires dans les secteurs précédemment non concernés, en facilitant les
licenciements économiques pour les multinationales…) ;
o
La
formation puis la qualification de certains demandeurs d’emploi
(Plan d’Investissement Compétences) pour
qu’ils pourvoient ensuite les emplois supposés « vacants » ;
Parmi les nombreuses difficultés pour évaluer les
effets des ordonnances travail sur les pratiques d’emploi des entreprises,
on citera notamment :
o
L’absence de données sur l’évolution « globale »
de l’emploi (direct et indirect) des entreprises utilisant (ou non) les
possibilités de ces ordonnances (par exemple, les changements de recours à la
sous-traitance ou l’utilisation de groupements d’employeurs
ne sont pas « vus » par les données d’emploi) ;
o
Les facteurs « très favorables » associés
à la signature d’accords d’entreprises (ex. culture RH des
dirigeants, contexte économique spécifique) qui rendent impossible la
comparaison fiable de données économiques entre entreprises (ex. avec/sans
accords) ;
o
Les doutes sur les justifications de
leurs licenciements économiques par les multinationales compte tenu des soupçons
d’ « abus de droit » (création de difficultés artificielles
intra-groupes).
Par ailleurs, l’évaluation des effets sur les
emplois « non pourvus » de l’adaptation des compétences des
demandeurs d’emploi devra prendre en compte les principaux « autres » facteurs expliquant ces emplois
non pourvus, notamment les conditions (horaires, rémunérations…) et la
localisation de ces emplois (Synthèse
COE). En
effet, les qualifications jouent généralement un rôle mineur dans la plupart
des domaines d’emploi (Dares 2005, Prao
2007),
dont notamment ceux les plus en tension (restauration, salariés agricoles, aide
à domicile et aides soignants, voir Enquête
BMO).
Les difficultés d’« adéquation » entre diplôme et métier étant plutôt
constatées pour les métiers dont l’accès est réglementé par le diplôme
(notamment dans les métiers qualifiés de la santé) et pour les métiers de
l’artisanat (fortement liés à l’apprentissage).
Plus globalement, cette stratégie de
« flexibilisation » des emplois est proposée « en échange » de moyens
de formation supplémentaires, pour les demandeurs d’emploi (PIC), salariés
(voir CPF plus bas) et jeunes (alternance et université) et de droits et protections supplémentaires, notamment l’accès aux
allocations chômage suite à des démissions et l’instauration d’un bonus-malus
dissuadant l’utilisation de contrats courts. L’évaluation de cette stratégie
globale devra ainsi à la fois préciser les effets en termes de création d’emplois durables (qui
devront être favorisés par le bonus-malus et des compétences plus adaptées) et d’accès plus large aux formations et
d’élévation globale des niveaux de qualification.
3.
Les autres secteurs sont donc nettement moins investis
par les nouveaux dispositifs et orientations financières du gouvernement. En
effet, la plupart des lignes du
« Plan d’investissement », qui devait équilibrer et compléter la
« stratégie des fiscalités financières », sont des dépenses déjà
programmées par Hollande ou identiques à celles des années
précédentes :
Axes
du Plan d’investissement
|
Montants
affichés (Mds euros/an)*
|
Dont
prêts (Mds
euros/an)*
|
Enveloppes
déjà programmées ou identiques à 2017 (Mds euros/an)
|
Subventions
supplémentaires effectives (Mds
euros/an)
|
Transition écologique
|
4
|
1,1
|
2,1**
|
0,8**
|
Compétences
|
2,9
|
-
|
2***
|
0,8***
|
Innovation
|
2,6
|
0,5 ? (BPI et BEI)
|
2 ? (Plan Invest. d’Avenir 3 +
Feader)
|
0,2
|
Etat et numérique
|
1,9
|
-
|
1,1
|
0,7 dt 0,6 pour projets
hospitaliers e-santé ?
|
Totaux
|
11,4
|
~ 1,5
|
~ 7
|
~ 2,5
|
*Rapport « Grand plan d’investissement » (voir notamment pp.14 et 26-27)
**Déjà programmé ou identique à
2017 = 0,25 Md/an (Anah) + 0,5 (Ferroviaire) + 1 (Eolien Offshore) + 0,3 (PIA
3) vs. a priori « supplémentaire » = 0,35 (Bâtiments Etat) + 0,15
(Prime auto) + 0,15 (Routes) + 0,15 (Fonds chaleur)
*** Déjà programmé ou identique à
2017 = 1,4 Md/an (formations pour 200 000 chômeurs peu qualifiés par an) +
0,4 (Garantie jeunes et Accompagnement des jeunes Pôle Emploi pour + 40 000
jeunes chaque année) + 0,2 (PIA 3) vs. a priori « supplémentaire » =
0,8 (préformations ou « relationnelles » pour 150 000 jeunes
supplémentaires par an) ?
En dehors de ce plan
d’investissement très limité, différentes
améliorations des « accès » sont attendues, notamment pour :
o
Les
formations, via le PIC (voir plus haut), la réforme de l’apprentissage et des
licences ou le passage du Compte Personnel de Formation en euros (CPF). Par
exemple, ce dernier dispositif (accordant aux personnes sans qualification jusqu’à
800 euros par an plafonnés à 8000 euros vs. 500 euros plafonnés à 5000 euros
pour les autres salariés), devra donc être utilisé par les personnes sans
qualification en priorité. Sachant que pour les CDD et les temps partiels
inférieures au mi-temps, les droits restent limités à leur temps de travail
annuel et que pour les CDI diplômés, les droits précédents de 25 heures par an
étaient en fait plus élevés dans de nombreux cas compte tenu des prix horaires moyens(pour
la plupart entre 30 et 50 euros/heure, voir Cnefop 2017). Les effets de
l’absence de compensation des rémunérations et du cadre « hors du temps de
travail » de ces formations, ainsi que l’effectivité de leur choix par le
salarié (vs. par leur employeur) et les transferts entre types de financements
des formations devront en particulier être évalués pour préciser les progrès
effectifs de ces « accès » ;
o
Les
soins, via les « restes à charges zéro » sur les prothèses et
lunettes, avec une réduction attendue des
« renoncements » (ex. à une prothèse dentaire) parmi les 4,7 M de
français ayant renoncé à une prothèse dentaire et 2,1 M à une prothèse auditive.
L’évaluation de cette mesure devra
notamment porter sur son efficience (rapport coût/efficacité), dans la
mesure où la réduction des renoncements est très probable (notamment pour les
prothèses dentaires et auditives, dont le reste à charge moyen est supérieur à
500 euros), mais elle a été obtenue en concédant une revalorisation des tarifs
de soins dentaires (estimés à 1,3 Mds d’euros sur 5 ans) et sans garantie sur
l’absence de hausse des tarifs sur les « paniers de soin » non
plafonnés et surtout des cotisations des complémentaires santé (qui ont déjà
augmenté de 47% en 10 ans) ;
Pour la plupart des axes du programme de Macron,
l’évaluation rigoureuse de leurs effets et impacts sera donc plutôt difficile à
mener et devra attendre encore 1 à 3 ans pour avoir suffisamment de recul. En
revanche, l’estimation des impacts
socio-économiques ou « redistributifs » de ce programme peut déjà
être initiée, notamment par les instituts disposant de données détaillées
sur les bénéficiaires. Mais peu de surprises sont à attendre sur cette question
compte tenu des cibles et ordres de grandeurs des principales mesures
engagées : l’impact risque d’être fortement
« anti-redistributif » avec
des pertes de plus de 1000 euros/an pour les ménages modestes les plus exposés
(ex. retraités « moyens » et salariés gros consommateurs de carburants)
vs. des gains de plus d’1 milliard d’euros par an pour les plus gros
patrimoines, dans la mesure où :
o
Les 15
Mds d’euros/an sur les patrimoines et revenus financiers bénéficient pour l’essentiel
aux 1% des plus aisés, auxquels s’ajoutent une partie des +ou- 7 Mds d’euros/an de réduction des
cotisations salariales (déduite de l’augmentation de la CSG) qui bénéficient principalement aux 20% les plus
aisés (de manière « proportionnelle », à hauteur de 1,45% du
salaire brut) ;
o
Alors que les augmentations de la CSG impactent
principalement les retraités « moyens » (au moins 6 Mds d’euros/an en
incluant les revenus fonciers) et que les
hausses prévues d’ici 2022 des fiscalités du tabac (5 Mds d’euros/an) et des carburants (14 Mds d’euros/an hors
TVA) vont majoritairement impacter des ménages moyens ou modestes, notamment
en milieu rural ou périurbain.
Le détail pourra être
précisé en prenant en compte les effets des hausses de fiscalités
sur les consommations de tabac et essence (sachant que les évaluations
budgétaires font plutôt l’hypothèse d’une
quasi-absence de réduction des consommations, y compris sur le tabac…), même si
la réduction de consommation strictement
imputable à ces hausses tarifaires sera difficile à préciser (il faudra
déduire en particulier les hausses des achats à l’étranger ou sur le marché
illégal…)
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