mercredi 13 avril 2022

Premières évaluations du programme Macron (2/3)

Afin de compenser les réductions de prélèvements sur les revenus financiers et le carbone (voir volet ½ du bilan), de fortes réductions de dépenses « ciblées » (- 10 Mds/an, hors retraites) ont eu des effets négatifs directs et déjà documentés dans 3 grands domaines :

1.     La production de logements : en chute de 40% dans les zones prioritaires, avec des impacts sur les prix du logement (en forte hausse) et sur l’accès aux logements sociaux (en baisse) ;

2.    La dépense par étudiant : en chute de plus de 20% dans les Licences et Masters, avec des impacts négatifs sur l’accès au supérieur des enfants de ménages moyens et modestes ;

3.    Les capacités d’hospitalisation : réduite de 15 000 lits entre 2016 et 2019, puis à nouveau de près de 6000 lits en 2020 malgré la crise sanitaire.

1. La réduction de 4 Mds/an des soutiens au logement (Comptes logement 2021), combinée à la suppression de la taxe d’habitation ont entraîné une chute de près de 40% de la production prioritaire : les logements abordables dans les zones dites « tendues » (Commission Logt 2021). La production a d’abord été freinée par la division par 2 des soutiens aux logements sociaux (-35% d’agréments de nouveaux logements sociaux depuis 2016), avant de s’étendre à l’ensemble des logements en raison de la suppression de la taxe d’habitation. En effet, cette suppression réduit les recettes liées aux logements pour les communes, qui sont incitées à privilégier les bureaux (ou à ne rien faire). Dans le même temps, la chute des résidences principales au profit des locations touristiques s’accentue, en particulier dans les zones où les besoins sont les plus importants (Institut PR 2021, et détails à venir ici). Cette chute du nombre de résidences principales dans les zones tendues s’accompagne d’une forte hausse des prix depuis 2017 (+25% dont +7% en 2021),.d’une hausse du nombre de ménages en attente d’un logement social (1,5 M en 2020, bilan logt aidé), ainsi que des dépenses « curatives » d’hébergement (3 Mds en 2019, hors aides à l’hébergement des personnes dépendantes et handicapées), qui viennent colmater le manque de logements abordables, mais à un coût très élevé (4 à 5 fois supérieur au coût public d’un logement social ou d’une accession abordable subventionnée).

2. La réduction de 3 Mds/an des dépenses publiques pour les formations supérieures (sur ~ 25 Mds/an au total, voir « inversion » à venir), s’explique par une forte baisse de la dépense par étudiant. En effet, la forte croissance du nombre d’étudiants (+ 400 000 en 10 ans dont +60 000 en 2018 pour un total dépassant 2,7 M en 2020 Références statistiques), s’est accompagnée d’une moindre croissance des dépenses : 

Cette réduction des dépenses s’étant concentrée sur les Licences et Masters (Fack et Huillery 2021), la chute de la dépense par étudiant à l’université approche les - 20%, alors que les autres types de formation (BTS, IUT, Classes préparatoires et Grandes écoles) ont bénéficié de dépenses par étudiant stables. Principale explication des échecs dans le supérieur, la privation d’accès aux formations courtes et encadrées s’est accentuée pour la majorité des bacheliers les moins « scolaires » (Bonneau et al. IPP 2021, Depp 2019, Céreq 2009, Gury 2007). Pourtant, ces formations sont demandées et très adaptées à ces bacheliers, paradoxalement exclus de ces cursus adaptés à leurs besoins…mais plus coûteux. Ceux-ci sont donc obligés de s’inscrire dans des Licences moins souhaitées (malgré un taux d’encadrement en chute de 20%) ou dans des formations payantes (+5%/an contre +1,3% pour le public), dans le cadre des sélections « Parcoursup », dont les critères ont été jugés opaques par différents audits du défenseur des droits ou de la Cour des comptes.

3. La réduction prévue de 8 Mds/an des dépenses hospitalières « réelles » a accentué l’érosion des lits d’hospitalisation, pourtant déjà très avancée en 2017. En début de mandat, les dépenses hospitalières ont augmenté 2 fois moins vite que la tendance « naturelle », estimée à + 4,5% en raison de l’inflation et du vieillissement (Sénat ONDAM, Bras 2019). Sur une dépense de départ d’environ 80 Mds € /an (dont 80% pour les hôpitaux publics Comptes Santé), la baisse prévue des dépenses publiques réelles dépassait donc - 8 Mds €/an sur 5 ans (-10%), avant que la crise sanitaire et le « Ségur » de mi-2020 n’entravent ce plan…du moins en partie : malgré la crise du Covid, le rythme de fermeture des lits et des hôpitaux s’est même accéléré en 2020 par rapport aux années précédentes (- 5700 lits et - 25 hôpitaux en 2020, contre - 4000 lits et -15 hôpitaux par an entre 2013 et 2019, Tribune et Dress 2021) :   

L’augmentation apparente du nombre de lits de réanimation fin 2020 (de 5000 à 6200 fin 2020) n’a été que temporaire et « substitutive » (en mobilisant du personnel d’autres services proches). En réalité, les créations pérennes ne dépassaient pas 100 fin 2020, alors que 500 lits de réanimation avaient été fermés en janvier 2020 et plus de 500 depuis, suite au départ de personnels soignants. Les revalorisations du « Ségur » de 2020 (+180 /mois soit +5 Mds /an pour les personnels publics et non +10 Mds /an comme annoncé par le gouvernement, Bras 2021) n’ont comblé qu’1/3 du retard du salaire infirmier sur la moyenne OCDE (qui est de 20% supérieur au salaire moyen au lien de -10% en France). De plus, ces dépenses ne sont pas ciblées sur les personnels des services les plus tendus et n’ont pas permis d’enrayer la fuite des personnels (60 000 départs estimés). Depuis 2020, l’augmentation des places de réanimateurs pour les internes est restée plus de 10 fois inférieure aux besoins (Cour des comptes 2021) et la sous-tarification des lits de réanimation implique encore un déficit de 115 000 /an pour les hôpitaux pour chaque lit, ce qui dissuade le rattrapage nécessaire.

A l’inverse de ces efforts toujours limités pour les hôpitaux publics, les surcoûts des tests (plus de 20% par rapport à l’Allemagne Canard 20/09/2020) et des imports d’équipements non produits en France (masques et machines) ont fortement augmenté les dépenses de soin de « Ville » (non hospitalières au sens de l’ONDAM) de plus de 25 Mds €/an depuis 2020. Et au-delà des dépenses de santé, ce sont les dépenses pour les entreprises qui ont explosé… avec une part de fraudes inédite (voir ci-dessous).

 

Une hausse des fraudes facilitée par l’absence de contrôle et des « sur-incitations »

La réduction générale des contrôles (-10% depuis 2016) et de l’effectivité des sanctions ont fortement contribué à la hausse récente des fraudes. Dans certains domaines, les fraudes ont même explosé, souvent « incitées » par des dispositifs publics trop « rentables », en particulier les dispositifs des travaux à « 1 euro », du travail détaché et des aides « Covid » aux entreprises. Malgré la montée en puissance de ces « aimants à fraudeurs », les effectifs de contrôle ont à nouveau été réduits depuis 2016, de +/- 10% selon les domaines (suite à une baisse similaire sous le mandat précédent) :

Effectifs et couverture des contrôles (2016-2020)

 

ETP de contrôle

Couverture des contrôles

Fraudes fiscales

3500* (-10%)

~3% des entreprises par an (-40%)**

Fraudes sociales

~ 800*** (?)

~2% des entreprises par an (-20% ?)

Fraudes au consommateur

~ 1500*** (-10%)

~95 000 établissements par an (-20%)

Infractions sanitaires

~ 8000 (en baisse)

Très variable (-5 à -20%)

Sources : Bilans PNLTI, Cour des comptes 2019a, et 2019b, Dgfip 2020 et Sénat  - Les autres types d’infractions (ex. vols et violences) font davantage l’objet de plaintes que de contrôles (voir plus bas)

*Postes de vérificateurs/attachés fiscaux (hors environ 5000 agents de soutien administratif aux contrôleurs)                                                        

**Contrôles « sur pièce » (à distance) et sur place (20 à 25% du total des contrôles)

***ETP consacrés au contrôle du travail illégal à la sécurité sociale et à l’inspection du travail (20% de 1800 et 2000 agents)

****ETP de la Dgccrf consacrés aux fraudes économiques (~50% de 2800 agents), les autres étant inclus en « sanitaire »

Si les fraudes sont difficiles à quantifier par nature, plusieurs indices attestent d’une forte croissance des fraudes dans au moins 3 domaines majeurs, par ailleurs « sur-stimulés » depuis 2017 :

Les fraudes aux travaux à « 1 euro » ont explosé depuis 2017, avec le développement des Certificats d’Economie d’Energie (CEE) bonifiés. Ces primes disproportionnées (parfois plus de 1000 € pour des travaux qui coûtent souvent moins de 1000 €) ont entraîné une forte croissance des travaux non pertinents et surfacturés, mais également des pratiques illégales (CGEDD RGE) et escroqueries en bande organisée (Douanes et Tracfin). La quasi-absence de contrôle de ces travaux et le niveau trop élevé des subventions ont généré le signalement d’au moins 10% de « non-qualité » (Eval CEE Atema/Ademe), soit plus de 100 000 chantiers « coup de pouce » à 1 euro par an. Mais les problèmes de qualité étant surtout détectables à moyen terme ou par des experts, les malfaçons sont nettement plus fréquentes et s’ajoutent aux sur-déclarations de surfaces et aux chantiers fictifs. Pour les fraudes organisées, un seul cas décrit par la Gendarmerie nationale (Webinaire Dgccrf 2021) a cumulé plus de 40 000 chantiers « CEE » avec malfaçons (et travail illégal) sur 2 ans, avant de disparaître à l’étranger :


Les fraudes au « travail détaché » ont continué leur croissance : 260 000 salariés détachés déclarés en 2019 (hors 800 000 routiers détachés), contre environ 150 000 en 2016 et moins de 100 000 en 2011, DGT 2019 et Dares 2021), pour toujours 100 jours par an et par salarié (soit l’équivalent d’un mi-temps). Cette croissance a même été stimulée par des procédures encore allégées en 2019, mais a été suspendue par la crise sanitaire. Malgré ces facilités, les détachements non déclarés sont également en hausse, en utilisant des statuts de faux indépendants (Bilan 2021) et de faux stagiaires. Les augmentations dérisoires des amendes (portées de 2000 à 3000 € par salarié pour 1100 amendes administratives en 2017… et 800 en 2019) ne permettent pas de limiter la croissance réelle du phénomène (au-delà des déclarations). Les fraudes sont de plus en plus difficiles à contrôler, notamment en raison de procédures nécessitant l’accord des Etats d’origine, de pénalités marginales au regard des gains (Evaluation travail détaché 2019) et de la sous-déclaration (massive) des heures de travail. Cette sous-déclaration, impossible à contrôler, rend ce statut structurellement illégal : un minimum de branche peut être affiché alors que le taux horaire est en réalité inférieur de 30 à 50%.

Plus récemment, les aides à l’activité partielle ont donné lieu à des montants de fraudes inédits. En effet, l’absence de contrôle des demandes d’aides a permis à des fraudeurs « opportunistes » ainsi qu’à des réseaux mafieux d’obtenir des versements pour des salariés et entreprises fictives. Ces fraudes sont estimées  par 3 méthodes concordantes à +/- 30% du fonds de solidarité versé en 2020 (Dgfip/Canard mars 2021) et à au moins 10% du chômage partiel (au moins 6% de fraudes estimées « officiellement », auxquelles s’ajoutent 20% de sur-déclarations Comité suivi 2021). Des demandes d’aides pour des salariés au travail ou non affectés par des baisses d’activité ont également été fréquentes, mais non étudiées. Pourtant, de grands groupes y ont eu recours de manière massive, notamment Cap Gemini (pour 3500 des 25 000 salariés alors que leur activité était normale), PSA (également au titre des « tensions d’approvisionnement » en 2021) ou Bouygues, ce qui explique en partie leurs bénéfices exceptionnels de 2021 au regard de leurs ventes (parfois en baisse vs. 2019). Sur un total de plus de 100 Mds d’aides (jugées très peu lisibles Sénat 2021) versées en 2020 et 2021 (Comité suivi 2021 et Insee 2021), la fraude totale dépasse donc très probablement les 20 Mds €.

Plus largement, les fraudes aux cotisations sociales et les escroqueries restent très peu détectées (les PV sont en chute libre de 60% depuis 2011) et les recouvrements marginaux : moins de 100 M € effectivement recouvrés (Bilans PNLTI) sur plus de 25 Mds/an de fraudes aux cotisations sociales (selon la Cour des comptes). Les fraudes fiscales sont nettement mieux recouvrées, mais les montants (+/- 10 Mds/an) sont en baisse et les pénalités en chute depuis 2019. Surtout, les fraudes fiscales recouvrées restent 6 fois inférieures à la fraude totale (estimée à plus de 60 Mds/an) et 2 à 3 fois inférieures à celle des pays comparables (Rapport fraudes 2019). Autre particularité française, ces fraudes sont très peu sanctionnées : les rares délits économiques repérés puis poursuivis sont quasi-incités par des amendes (pénales et administratives) qui dépassent rarement 10% des gains frauduleux (voir note contrôles et justice ).

Pour la sécurité sanitaire, les moyens de contrôle sont 5 à 10 fois inférieurs que dans les pays voisins (Commission parlementaire 2018 p.164). De plus, la sécurité repose de manière croissante sur l’ « autocontrôle » par les entreprises, malgré des obligations peu contraignantes et le plus souvent non respectées, récemment dénoncées par le rapport sur la sécurité alimentaire de la Cour des Comptes. Les impacts majeurs de l’absence de contrôles inopinés ont également été soulignés par l’affaire Orpéa, premier groupe privé d’Ehpad et dont les très rares contrôles étaient intervenus suite à des signalements multiples et graves…mais sans suite ni sanction.

S’agissant de la justice judiciaire, la légère augmentation des effectifs (+6% entre 2017 et 2021, chiffres-clés justice), maintien la France à un niveau 2 fois inférieur à la plupart des pays comparables en termes de moyens (Rapport CEPEJ), avec un budget de la justice judiciaire qui reste marginal (0,3% des dépenses publiques). En conséquence, la France est devenu l’avant-dernier pays européen en matière de délais de justice, qui sont 3 fois plus longs qu’ailleurs. Ces délais très longs (+/- 2 ans avec appel et 4 à 5 ans avec cassation en moyenne) et croissants (+50% en 8 ans pour les délais de 1ère instance civile) sont une source majeure et croissante d’insatisfaction des français (L’express). Plus récemment, ces délais impliquent même un abandon croissant des poursuites des principaux criminels des réseaux mafieux et de la corruption politique.

Plus spécifiquement, la hausse de 25% des violences depuis 2016 (enregistrées par les services de police) est plus difficile à attribuer aux politiques menées. Tout d’abord, cette hausse pourrait traduire un meilleur taux de plainte, or l’enquête de « victimation » de 2021 n’est pas encore publiée et celle de 2020 n’est que partiellement comparable à celles des années précédentes. De plus, aucune enquête n’a été menée sur 2019 (pour des raisons peu claires de budget de l’Insee) et 2020 est une année très atypique (principalement pour les atteintes aux biens, mais également aux personnes). Pour autant, l’analyse des taux de plainte de 2016-2018 indiquent une forte hausse pour les violences sexuelles (effet « me too »), mais une stabilité pour les coups et blessures, ce qui confirmerait la hausse effective des violences depuis 2016. Mais il reste à savoir si cette hausse est liée à une nouvelle politique ou à des facteurs plus larges. En l’occurrence, la principale nouveauté depuis 2017 est la systématisation des alternatives à la prison pour les peines fermes de moins de 6 mois. Mais ces mesures ne s’appliquent que depuis 2020 et il reste à vérifier leur application par les juges, qui manquent souvent d’informations sur le détenu pour décider d’un aménagement ou non. Sachant que parmi les 120 000 peines de prison aménageables en 2016 (sur 135 000 au total), 30% ont été aménagées en amont et 20% après incarcération (chiffres-clés justice et Stats Justice 2019). Plus généralement, les évaluations sont difficiles dans ce domaine dans la mesure le choix des peines par les juges est très dépendant des profils des condamnés, ce qui rend peu fiables les comparaisons entre les différents types de peines (Kensey et Denaouda 2011).

En revanche, les effets néfastes de certaines (non)-mesures persistantes sont déjà établies, en particulier l’absence de poursuite de la quasi-totalité des délits (620 000 poursuites sur plus de 4 M d’affaires par an, Références justice, voir ci-dessous). Cette quasi-absence camouflée derrière le faux indicateur de « réponse pénale » est une spécificité française : un nombre très limité de procureurs pour un nombre plutôt élevé d’affaires signalées (plus mauvaise place en Europe selon le Rapport CEPEJ !), alors que les effectifs de police judiciaire sont moyens et mal répartis (Cour des comptes police).

Enfin, pour les rares condamnations (15% des affaires et non 85% comme le suggère le « taux de réponse pénale »), la longueur des délais d’exécution des peines rend celles-ci peu efficaces : plus de 8 mois pour l’exécution d’une peine, qu’il s’agisse de bracelets, de TIG ou de prison ferme (Stats exécutions), toujours en lien avec le déficit de moyens judiciaires, des juges aux conseillers de probation, en passant par les procureurs.

 

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