dimanche 7 avril 2019

Emplois aidés : beaucoup de beaux bébés jetés avec l’eau du bain

Dès l’été 2017, le gouvernement est intervenu pour modifier fortement les soutiens aux emplois dits « aidés », avec deux modifications importantes des soutiens aux contrats aidés « ordinaires » (hors contrats aidés liés au handicap ou à l’Insertion par l’Activité Economique, toujours soutenus à hauteur de 4 Mds d’euros/an) :
1.   L’arrêt des soutiens aux contrats aidés du secteur marchand (CUI-CIE, dont le nombre de bénéficiaires moyen variait de 30 000 à 70 000 selon les périodes) et aux « emplois d’avenir » (100 000 bénéficiaires « jeunes » en moyenne en 2015 et 2016 pour un coût d’environ 1 Md/an), permettant une réduction de 1,5 Md d’euros/an des dépenses publiques à partir de 2019 ;
2.     La réduction du taux d’aide (d’environ 75% à 50% du Smic brut) et du volume de contrats aidés du secteur « non marchand » (de 300 000 contrats en 2016 à 150 000 en 2019, hors contrats transférés à l’Education Nationale). Ces contrats ont été rebaptisés « Parcours Emploi Compétences » (PEC, voir circulaire du 11 janvier 2018) et ont un soutien public réduit d’environ 1 Md d’euros/an ;
Au total, ce sont donc 2,5 Mds d’euros par an d’économies qui sont visées sur environ 3,5 Mds d’euros par an de contrats aidés « ordinaires » en 2015-2016 (hors secteurs handicap et Insertion par l’Activité Economique).
Le nouveau gouvernement souligne également le recentrage de ces « PEC » sur le « seul objectif d’insertion professionnelle des public éloignés de l’emploi », mais cela était déjà l’objectif principal des contrats aidés, parfois combiné au soutien conjoncturel à l’emploi peu qualifié (qui reste encore souligné en 2018).

De nombreuses confusions dans l’utilisation des évaluations des contrats aidés
La confrontation de ces changements aux évaluations disponibles donne l’impression que certains types de contrats aidés dont les effets étaient effectivement limités ont été « jetés » avec d’autres types de contrats pourtant jugés efficaces et/ou dont les impacts sont majeurs. En effet :
o   Les contrats aidés les moins efficaces (en termes d’insertion ultérieure dans l’emploi et/ou de création « nette » d’emplois) ont bien fait l’objet d’un arrêt ou d’une limitation de leur soutien ;
o   Mais une part importante des contrats aidés les plus efficaces et aux impacts les plus importants (notamment sur la création « nette » d’emplois) ont au passage été supprimés ou limités.
Pourtant, nous verrons ensuite que les difficultés de d’insertion dans l’emploi des publics réellement « éloignés de l’emploi » pourraient être abordées au-delà du seul objectif d’insertion dans l’emploi (très facile à « biaiser ») et en articulant ces emplois aidés aux formations professionnelles et aux soutiens des secteurs ayant des difficultés de recrutement (ex. rénovations énergétiques, aides à domicile, etc.).
Une part des contrats les moins efficaces effectivement moins aidés…
L’arrêt des contrats aidés du secteur marchand (CUI-CIE) et d’une partie des contrats du « non marchand » (les plus courts et les moins ciblés) s’appuie effectivement sur une efficacité plutôt limitée :
o   De manière générale, une part relativement importante des bénéficiaires ont des profils peu « éloignés de l’emploi », notamment dans les périodes d’augmentation des volumes de contrats aidés (Cour des comptes 2013). Malgré une amélioration du ciblage des bénéficiaires depuis 2010, celui-ci reste encore partiel (par exemple, environ 30% des bénéficiaires du CIE en 2015 ont connu moins de 1 an de chômage, Dares 2017)
o   Surtout, les recrutements sont souvent réalisés par des employeurs qui connaissaient « déjà avant » les bénéficiaires, notamment dans le secteur marchand (~ 45% vs. moins de 30% dans les secteurs non marchand), ce qui explique assez largement les taux d’insertion en emploi supérieurs des bénéficiaires du secteur marchand au « profil » équivalent (Dares 2017).
o    Les effets d’aubaine sont très élevés pour les employeurs des secteurs marchands (seulement 10 à 20% des embauches n’auraient pas eu lieu sans l’aide selon les secteurs, voir tableau plus bas). En effet, les employeurs du secteur privé ont des besoins d’embauche principalement en période de hausse de leur activité et profitent surtout de cette aide pour augmenter leurs marges.
…mais des types de contrats parmi les plus efficaces limités ou supprimés
En revanche, dans la majorité des cas, les contrats aidés supprimés (les emplois d’avenir) ou fortement réduits (les contrats aidés « classiques » dans les associations et collectivités) avaient des résultats (en termes d’insertion) et des impacts (en termes de création « nette » d’emploi) plutôt importants au regard des profils des bénéficiaires (ex. plus de 40% sont des demandeurs d’emploi depuis plus de 2 ans Dares 2017). En effet :
o   Les contrats aidés des secteurs non marchands sont en majorité des créations « nettes » d’emploi (de 60 à 70% des embauches n’auraient pas eu lieu sans l’aide, soit 30 à 40% d’effet d’aubaine « pur » ou de simple anticipation selon les secteurs, voir tableau ci-dessous). En effet, les besoins de main d’œuvre du secteur non marchand sont souvent importants mais peu ou pas financés (alors que les employeurs du secteur privé profitent donc davantage d’effets d’aubaine). 

Il est à noter que ces estimations, qui utilisent des enquêtes auprès d’employeurs, en France (Dares 2015 + Dares 2017) ou à l’étranger (ex. Suède dans Effets macro CUI 2012) ont des résultats similaires aux estimations utilisant des méthodes macro ou micro-économiques (+ou- 0,7 emplois supplémentaires pour 1 emploi aidé dans le secteur non marchand vs. +ou- 0,15 emplois supplémentaires seulement dans le secteur marchand, ex. Aides à l’embauche Trésor-Eco 2016).
o   De plus, si le taux d’insertion en emploi « moyen » est limité à +ou- 40% (6 mois après la fin des contrats aidés), la majorité des contrats aidés, notamment les plus longs et ceux intégrant des formations ont des résultats nettement plus positifs en termes d’insertion. En particulier, les « emplois d’avenir », qui sont généralement 2 fois plus longs et mobilisent 3 fois plus de formations (que la « moyenne » des emplois aidés), ont eu d’importants résultats en termes d’insertion dans l’emploi (Dares EA 2017), compte tenu des profils des bénéficiaires concernés (76% au niveau CAP ou inférieur) : jusqu’à 58% d’insertion 6 mois après les contrats les plus longs en 2015 et encore davantage en 2017 (davantage favorable aux recrutements en général, Dares 2019) ;
…et un risque d’augmentation des biais du « retour à l’emploi » 
Au-delà des impacts négatifs de cette réduction globale des soutiens (aux contrats les plus efficaces), le biais majeur de « sélection » de cette politique, déjà présent auparavant, va probablement être renforcé. En effet :
o   Les comparaisons des « taux d’insertion en emploi » suites aux contrats ou formations sont fortement biaisées par les différences « non quantifiées » de profils recrutés (les associations recrutant les personnes les moins « employables » en termes de compétences ou de « savoir-être » sont ainsi jugées moins efficaces et inversement) et les différences de « canaux » de recrutement (voir plus haut les salariés « déjà connus avant », notamment dans le secteur marchand) ;
o   De plus, l’indicateur le plus utilisé pour qualifier une personne d’ « éloignée de l’emploi » est « demandeur d’emploi depuis plus d’1 an ». Or cet indicateur est particulièrement aisé à détourner dans la mesure où une part importante de ces demandeurs d’emploi alternent en réalité des missions, parfois très qualifiées, pour un ou plusieurs employeurs (voir politiques de l’emploi).

Des articulations différentes entre emplois aidés, formations et besoins des territoires ?
Pourtant, il serait possible de limiter ces biais et d’améliorer l’utilité des contrats aidés en procédant à trois modifications importantes des politiques actuelles d’emploi et d’insertion :
o   Pondérer différemment les objectifs d’ « insertion dans l’emploi » et de « soutien à la création d’emploi » selon les spécificités des territoires (dont les enjeux de maintien des emplois et de certaines activités sont très variables) et des publics (dont les degrés d’éloignement de l’emploi « classique » sont multiples et en partie non quantifiables) ;
o   Davantage utiliser ces emplois aidés comme « support » de formation professionnelle, dont les apports pour les personnes sans qualification sont toujours plus décisifs à moyen et long terme que l’obtention à tout prix d’un contrat court à la sortie de l’emploi aidé (Dares 2011). Surtout, les emplois aidés avec formations ont donc des résultats nettement plus positifs (voir plus haut) et, inversement, les formations alternant avec des périodes en emploi augmentent fortement les perspectives d’emploi à court et long terme (ex. 2 fois plus d’emploi pérennes après un titre + contrat de professionnalisation), même si les profils des bénéficiaires restent souvent difficiles à comparer (Céreq 2016). Ainsi, le nombre et la durée des formations pour ces publics pourraient être au moins triplés (ex. les emplois d’avenir ont permis d’augmenter cet accès à 36% vs. 13% en CUI après 6 mois, Dares 2018).
o    Mieux articuler ces emplois aidés au soutien des secteurs ayant des difficultés de recrutement, en particulier les métiers en lien avec la transition énergétique (ex. couvreurs, techniciens de l’isolation, ouvriers de l’industrie du bois) et ceux liés au vieillissement de la population (ex. aide soignante et aides à domicile). Aujourd’hui, une part des contrats aidés sont déjà utilisés dans ces secteurs (notamment dans l’aide à domicile, mais beaucoup moins dans les autres secteurs, Dares 2015), mais généralement sans lien avec les politiques de formation et les autres initiatives visant les fameux « emplois non pourvus » (dont les volumes en ETP sont en réalité davantage limités que les chiffres souvent publiés et le lien avec les formations souvent secondaire, voir ici).

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