La stratégie « transports
» du gouvernement vise, comme celle des précédents, à amorcer une transition
vers une mobilité « durable ». L’objectif général est d’améliorer les
transports du quotidien tout en réduisant les émissions de gaz à effet de serre et les particules fines (provenant à 30% des
transports).
En dehors de l’augmentation des fiscalités sur les carburants (
14
Mds d’euros/an hors TVA), qui était principalement
à visée budgétaire (et a donc été récemment « suspendue »), les 2
principales modifications en cours sont :
1. L’accentuation
de la priorité donnée à la rénovation des infrastructures ferroviaires
au détriment de la création de nouvelles lignes (priorité déjà instaurée par Hollande, en
repoussant de nombreux projets prévus en 2011). Les dépenses
de renouvellement doivent ainsi être augmentées de 3,1 à 3,5 Mds d’euros entre
2017 et 2022 (
Grand
plan d’investissement et PLF 2019), afin
d’améliorer les 5300 km de sections à « trafic ralenti » en raison de
leur manque d’entretien (sur 28 000 km au total). Par ailleurs, une
reprise partielle de la dette de la SNCF (35 Mds d’ici 2022 sur un total de 60
Mds) est promise en « échange » de la limitation de ses avantages
salariaux et de sa mise en concurrence ;
2. L’élargissement
de la prime à la conversion des véhicules les plus anciens (10
millions de diesel d’avant 2006 et d’essence d’avant 1997), à l’achat de
véhicules essences et diesels émettant moins de 130 g de CO2/km, au-delà des
hybrides et électriques. La prime de 1000 à 2500 euros en 2018, est doublée
pour les « gros rouleurs modestes » en 2019. En parallèle, le bonus
pour les électriques reste à 6000 euros et le barème
des malus est réduit (ex. 2000 vs. 2700 euros pour 153 gde CO2/km) afin de
compenser la modification des méthodes de mesure des émissions faisant suite au
« dieselgate ».
Des priorités peu prioritaires et un attrait certain pour les
« volumes »
La
confrontation des évaluations disponibles à ces 2 ensembles de mesures illustre
d’une part l’incohérence souvent forte
entre les différents instruments (subventions, fiscalités, tarifs, etc.) d’une même politique et d’autre part l’attrait croissant pour les indicateurs de
« volume ». En effet :
o L’investissement dans le renouvellement des
infrastructures ferroviaires doit permettre un « rattrapage » de la qualité du réseau ferré, mais ses effets sont limités par le financement public très supérieur du fret
routier, à l’inverse des
objectifs affichés ;
o Les
primes à la « conversion » des véhicules de particuliers privilégient fortement les volumes (nombre d’aides) aux impacts (réduction des
consommations), alors que
l’amélioration du parc demanderait des modulations de tarifs nettement plus
importantes.
Pourtant,
pour « disrupter » le rythme extrêmement lent de la modification des
pratiques de transport (la part des voyages en transport « collectif »
est passée de 17%
à 19% en 10 ans et le fret ferroviaire et fluvial
régresse même de 13% à 12% du fret total), un préalable n’a pas encore été
abordé : inverser les tarifications des
infrastructures, qui privilégient fortement le transport long par camion (pourtant
le plus coûteux et le plus polluant), et inverser
les fiscalités qui favorisent toujours les longs déplacements des ménages aisés, au détriment de l’achat de véhicules
peu polluants ou de la réduction des déplacements les moins utiles.
Un réseau ferré mieux
entretenu mais toujours particulièrement défavorisé
Comme précisé dans le Grand
plan d’investissement, l’augmentation de 400 M
d’euros/an des subventions de renouvellement du réseau ferré par rapport à 2017
était en réalité déjà prévue dans le contrat
2017-2026 conclu entre l’Etat et SNCF Réseau :
Il ne s’agit donc que
d’un maintien des investissements prévus, dont l’augmentation hors inflation est
en réalité limitée et encore largement insuffisante selon les audits techniques
(Cour
des comptes 2018),
compte tenu des nombreuses années de sous-investissements (des années 1980 à
2008, voir schéma ci-dessous) :
Surtout, les
investissements de renouvellement (et d’entretien) du réseau ferré sont en
quasi-totalité financés par les usagers et doivent couvrir les intérêts de la
dette (~1,2 Md €/an, Cour
des comptes 2018), contrairement au réseau routier
qui est subventionné à 100% et ne
porte ni dette ni intérêts. En effet, les dettes routières sont intégrées aux
dettes de l’Etat, donc à un taux inférieur de 3 points à celui payé par SNCF
réseau (0,5% vs. 3,5%/an en 2017).
Pourtant, dans les pays
voisins et performants, les dettes ferroviaires sont prises en charge par
l’Etat, qui subventionne l’essentiel des investissements de développement,
mais également de renouvellement (Benchmark
2013).
La reprise partielle de la dette de la SNCF par l’Etat n’est donc qu’un
rattrapage également partiel de ses obligations passées, mais qui restera
insuffisant sans prise en charge des investissements à venir.
Cet avantage historique
du réseau routier face au ferré est particulièrement accentué pour le transport
de marchandises. En effet, le fret routier international peut échapper au
financement (indirect) des infrastructures par les taxes sur les carburants (très
limitées dans certains pays voisins) et peut ne pas respecter les normes sociales françaises
(contrairement au transport ferroviaire). A ces handicaps structurels,
s’ajoutent donc des freins liés aux coûts et qualités des infrastructures qui expliquent une part
importante de la décroissance atypique du fret ferroviaire en France (CGEDD
fret 2015).
En effet, malgré les multiples bénéfices du fret ferroviaire (en termes
de pollution, de sécurité et d’emploi), son soutien reste toujours quasi
inexistant, voire
« négatif » :
o
Le fret ferroviaire bénéficie de moins de 250 M
d’euros de subventions par an (voire moins compte tenu de la surestimation par
SNCF Réseau du coût « normal » du péage, CGEDD fret
2015) ;
o
Avec des coûts de péages proches de ceux des
pays comparables, malgré un réseau nettement moins bien entretenu (ex. l’âge
moyen des infrastructures est 2 fois moins élevé en Allemagne) ;
o
Des problèmes fréquents de fiabilité en raison des
« goulots » d’étranglement (Lyon, Nîmes, Dijon…) et de lignes non
électrifiées sur certains trajets déjà soulignés dans les rapports du Sénat et du CGDD de 2010
(le projet de contournement de Nîmes ayant tout de même été achevé en
2019) ;
o
Et surtout des réservations de
« sillons » (horaires de trajets prévus) peu souples et non
prioritaires (déterminés après les sillons voyageurs et longtemps à l’avance)
et souvent « précaires » ou refusées (24% des trains de fret vs. 7%
des trains de voyageurs, CGEDD fret
2015). Cette « mauvaise
qualité des sillons » constituant la principale différence de
compétitivité rail/route par rapport à l’Allemagne, en combinaison avec la
qualité du réseau (Benchmark
fret 2013).
Plus globalement, malgré
plusieurs comparaisons internationales soulignant le lien direct entre les
investissements publics dans le réseau et les performances du ferroviaire (la
Suisse étant très en avance, Index
UE BCG), les subventions aux investissements restent
toujours marginales en France. Et l’excuse répétée des « investissements
excessifs dans les LGV » est d’autant plus infondée que la forte
limitation du développement de nouvelles lignes (depuis Hollande) ne
s’est pas traduit dans des investissements publics dans le
renouvellement, toujours financé en quasi-totalité par la SNCF… principalement
grâce à ses revenus tirés du succès des nouvelles LGV, succès qui explique
également l’amélioration de certaines lignes de TER (Bilan
Arafer, Tribune). C’est donc en réalité plutôt le développement des
LGV qui a permis de mieux financer le renouvellement du réseau et non le « TGV
qui explique le retard de financement public du renouvellement », qui est
donc toujours quasiment nul en France…
Des
« conversions » en nombre mais aux impacts limités, voire négatifs
Du côté des transports
en automobiles (~80% des voyageurs.km et 60% des carburants), la prime à la
conversion « étendue » en 2018 aux véhicules essence et diesel
émettant « moins de 130 g de CO2/km » a été davantage utilisée que la
précédente. Ce qui était attendu dans la mesure où l’ancienne prime était limitée
aux véhicules hybrides et électriques. Le gouvernement évoque alors un
« succès » avec 208 000 primes en 2018 contre 120 000 prévues.
Pour autant :
o
Les effets de cette prime relèvent probablement
de l’aubaine dans la plupart des cas : 1000 euros ne sont pas vraiment
nécessaires pour les occasions de 2006 (estimées entre 1000 et 2000 euros à l’Argus) et 2500
euros restent très insuffisants pour combler les 15 000 euros d’écarts entre
une Clio et une Zoé neuves (après bonus). De plus, le parc « ancien »
visé par la prime étant de 10 millions, le rythme actuel de
« renouvellement » est donc de 40 ans et ces primes ne couvrent
que 2,5% des immatriculations annuelles (dont les 2/3 sont des occasions). Cela
suggère surtout que les « conversions » se font pour la plupart sans
cette prime (sans évaluation disponible semble-t-il) ;
o
Plus problématique, cette prime est utilisée à
60% (en 2018) pour acheter des modèles d’occasion dont les émissions sont plus
de 30% supérieures aux Clio ou 208 récentes et plus proches des modèles plus
anciens mis à la casse. Et d’un point de vue sanitaire, les émissions réelles
de gaz dangereux pour la santé (ex. Oxydes d’Azote appelés NOx) sont
souvent très élevées pour les modèles diesel de 2011, au centre du dieselgate. Les
gains réels sont également très limités en termes de GES compte tenu des écarts
croissants entre émissions de CO2 « réelles » et
« estimées » depuis 2009 (y compris sans trucage des logiciels, en
jouant simplement avec les « souplesses » et les biais importants des
procédures de test en laboratoire décrites par France
Stratégie, voir ci-dessous)
Complémentaire à cette
prime, qui ne concerne donc pas les achats de voitures neuves et la grande
majorité du parc d’occasion (essences d’après 1996 et diesels d’après 2005, voire
d’après 2001 pour les ménages imposables), le bonus-malus reste également centré
sur une part très limitée du parc (Bilan CAS Auto). Moins
de 2% des véhicules neufs ont bénéficié d’un bonus en 2018, celui-ci étant limité
à l’électrique depuis 2014. Les malus concernent davantage d’achats neufs (+ou-
15%), mais sont en majorité inférieurs à 1000 €
(voir exemples)
et la quasi-totalité des ventes ne sont donc pas impactées ni par le bonus, ni
par le malus.
En
comparaison, le bonus-malus
mis en place en 2008 avait eu davantage d’effets, avec
des malus également limités, mais des bonus étendus aux « petites
citadines ». Entre 2007 et
2012, la réduction des émissions des véhicules neufs a ainsi été deux fois plus
forte (-4g/an en
moyenne) que dans la
décennie précédente (et que depuis 2012, les
émissions ayant même augmenté entre 2016 et 2018).Une
évaluation de l’INSEE
a
attribué la majorité de cette évolution au bonus-malus dans la mesure où
l’augmentation des ventes de véhicules neufs les moins émissifs a été très
nette entre les mois précédents et les mois suivants sa mise en place début
2008. Pour autant, le bonus-malus avantageant les moindres émissions de CO2 des
diesels, l’augmentation des ventes de « petits diesels » a eu des
impacts négatifs en termes d’émissions des autres polluants (oxydes d’azote,
particules fines, etc.). Et ceci d’autant plus que les émissions de polluants
par les diesels d’après 2009 sont en moyenne 5 fois plus importantes
qu’affichées (ICCT).
Pourtant, d’autres pays
ont eu des résultats nettement supérieurs avec des politiques plus
« globales ». En particulier, l’exemple Norvégien (France
Stratégie), suggère que le surcoût des véhicules basse consommation
(achat + utilisation) doit être nul
ou très limité pour une efficacité élevée (les véhicules électriques et
hybrides dépassent 60% du neuf contre moins de 7% en France en 2018).
A l’inverse, les incitations très
limitées constatées en France s’inscrivent de plus dans un contexte fiscal
défavorable, la déduction des frais kilométriques de l’impôt sur le revenu pouvant
compenser les malus pour les ménages aisés (IDDRI 2012). Plus globalement, cette déduction kilométrique subventionne principalement
l’allongement des trajets des 30% de ménages les plus aisés (pour plus d’1,5 Md
d’euros par an), alors que les 30% les moins aisés n’y ont pas droit et que les
revenus moyens les plus vulnérables en profitent très peu (IDDRI
2012 vulnérabilité).
Commencer par inverser les tarifs et les fiscalités actuellement
défavorables ?
Pour
« disrupter » le rythme extrêmement lent de la modification des
pratiques de transport, un préalable n’a pas encore été abordé : arrêter
de subventionner les pratiques qui doivent être limitées. Pour autant, la
simple augmentation des péages et des taxes aurait des impacts limités et
pervers, notamment parce que les camions se déportent généralement sur les
voies moins taxées (voir l’étude
d’impact de l’Exo-taxe) et que les automobilistes les
moins aisés sont généralement les plus « captifs » (voir les crises
récentes). Pour des effets importants et des impacts sociaux et sanitaires
bénéfiques, il existe pourtant des solutions :
1. Réserver
le transport routier le plus coûteux aux routes principales (hors
desserte locale) et ajuster les péages à
leurs coûts réels (les + de 12 tonnes en longue distance sont responsables
d’au moins 80% des
coûts des routes) :
- Environ 70%
des camions, pour la plupart étrangers,
devraient donc payer au moins 0,5 €/km de plus pour rester sur les routes (soit +25% du coût total par tonne transportée)
ou 0,5 €/km au total en reportant leur tonnage sur le fer ;
- L’obligation
d’utiliser les 2x2 voies permet ainsi d’éviter le report vers les réseaux
secondaires (contrairement à
l’Eco-taxe) et d’en réduire le coût d’entretien d’au moins 1/3 à moyen terme,
alors que les recettes (~5 Mds d’euros par an) pourraient permettre de doubler
les investissements sur le réseau ferré et dans les transports en commun locaux
(dont les lignes en « site propre » restent limitées à 1800 km) ;
- Le supplément de péage (au km) et de trafic sur les
autoroutes concédées diminué de la hausse (limitée) de l’entretien
supplémentaire (peu lié au trafic sur les autoroutes) étant attribués à l’Etat,
les contribuables bénéficieront d’autant plus de la fin des très coûteuses concessions
autoroutières (26 Mds de surcoûts estimés en 10
ans sur des recettes de 100 Mds € et probablement davantage dans la mesure où l’entretien est sous-traité à
des filiales des mêmes groupes donc très probablement surfacturé) ;
2. Rendre
l’acquisition d’une voiture hybride ou électrique plus « rentable »
qu’une essence ou diesel équivalente, en combinant :
- un bonus
renforcé et modulé (couvrant
par exemple 20 à 80% de la différence de prix selon les revenus du ménage, en
neuf et occasion) et un malus renforcé et « proportionnel » (+20%
pour +20% d’émissions par rapport à une base de 100 g/CO2 pour une essence
neuve en 2019). Au critère du CO2, il faudrait ajouter celui des polluants « sanitaires »
(afin d’inciter les constructeurs à ne pas délaisser ce type de pollution) et
celui du poids (la construction
d’une voiture électrique lourde nécessitant une batterie 3 fois plus puissante,
elle peut émettre autant de CO2 que l’utilisation d’une petite essence, voir France Stratégie).
- Et une tarification progressive des carburants
compensée par un « bouclier social ». Par exemple -50% sur le coût des carburants pour
les déplacements professionnels en électrique ou hybride et +20% en dehors de
ces cas (qui seraient compensés de 0% à 100% selon les revenus). Cette
tarification permettrait
de réaliser des économies avec un véhicule électrique de +ou- 1500 €/an contre environ
1000 €/an avec les tarifs « fixe » actuels (pour une moyenne de 20 000
km/an à 50% professionnels).
En complément de ces politiques de report modal et de réduction des
émissions de polluants au km parcouru, le télétravail (pour
les salariés éligibles, notamment de bureaux) devrait être fortement développé,
avec des obligations minimales pour les employeurs public (ex. 2 jours par
semaine pour les postes en bureaux) et un bonus/malus de versement transport
pour les entreprises (ex. 1,5% de la
masse salariale au lieu de 2,5% si 100% des postes compatibles utilisent 3
jours de télétravail/semaine contre une taxation de 4% de la masse salariale si
moins de 10% des postes éligibles sont à 1 jour/semaine). Au moins 15% des
trajets quotidiens en véhicule pourraient ainsi disparaître avec seulement 2
jours par semaine de télétravail pour la plupart des postes éligibles. En
effet, l’OFCE estime qu’au
moins 30% des emplois peuvent être exercés en télétravail,
contre seulement 3% de pratique au moins 1 fois par semaine fin 2019. Les gains
étant très importants pour les salariés concernés (gains de temps et de
confort), mais également pour le reste de la population (forte diminution des
pollutions et de la congestion sur les routes et dans les transports en commun), notamment si les "bonus" sont attribués pour au moins 50% à l'augmentation des revenus des salariés modestes non éligibles.
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