lundi 17 septembre 2018

Evaluations des politiques agricoles

- Les aides au revenu agricole , malgré les montants concernés (~ 7,5 Mds €/an pour les principales aides au revenu PAC, voir ci-dessous), ne permettent pas à la majorité des exploitants d'avoir une rémunération de 20 000 € net/an en 2016 (aides comprises), alors que plus de 25% des exploitants des moyennes et grandes exploitations (et la grande majorité des petits exploitants) ont des revenus inférieurs à 5000 € net/an depuis 2013, dans la plupart des types d’élevages et de cultures, à l’exception de la viticulture et d’une partie des grandes cultures.


Principales modalités / conditions
Coût/avantage
par an (et /ha, animal, exploit)
Dépense publique /an (2016)
Principaux « résultats »
Evaluations de l’efficacité / efficience
Impacts 
éco / sociaux
Les aides « découplées » ne sont pas liées à la production mais sur les aides reçues en 2000-2002 (DPU puis DPB)
Aides à l’hectare pour toute exploitation « active » respectant des conditions environnementales de base
250 €/hectare en moyenne 
(jusqu’à 2000 €/h)

~ 6,2 Mds


370 000 bénéficiaires
25 M d’hectares ?         
- / - -
+ / - -
Les aides « couplées » sont liées à la production de l’année en cours et sont différentes selon le type d’exploitation.
Vaches allaitantes
Prime à la brebis
65 à 167 €/vache
+ou- 20 € /brebis
~ 1,2 Mds
3,8 M vaches
7 M ovins
?
+ / -
- Ces revenus sont en déclin progressif depuis 10 ans pour la plupart des élevages (et notamment depuis 2014 pour les élevages de vaches laitières), alors que les exploitations porcines et à dominante céréalière ont des revenus davantage fluctuants (avec des rémunérations trois fois plus élevées en 2010-2012 pour les céréales)


- Les variations de revenus entre types d’exploitations sont fortes et très sensibles aux cours de certains produits « stratégiques » : par exemple, une hausse de 50% du prix des aliments du bétail réduit en moyenne de 13 000 € le revenu d’une exploitation « moyenne » de bovins-lait qui est composée d’environ 2 plein temps dont le revenu total est en 2012 de 37 000 € après cotisations sociales (Rica p.24-25). Le revenu net moyen d’un éleveur laitier passe donc de 18 000 € à 12 000 € net/an suite à cette hausse des prix.
- Pourtant, les aides à l’agriculture profitent principalement à une minorité de grands exploitants (20% concentrent 47% des aides à la production en 2006 et plus de 52% en 2015), alors que les revenus de ces grands exploitants sont toujours très élevés et ne s’ajustent pas selon les variations de prix parfois très élevées, avec des rémunérations qui peuvent être négatives pour plus de 25% des exploitants dans les années les plus difficiles et dépasser 80 000€ net/an pour la majorité des exploitants de grandes cultures dans les phases de prix élevés (jusqu’à 200 000 € net/an pour certains, Synthèse p.5)


Pour les pratiques agro-environnementales


Principales modalités / conditions
Coût/avantage
par an (et /ha, animal, exploit)
Dépense publique /an (2016)
Principaux « résultats »
Evaluations de l’efficacité / efficience
Impacts 
éco / sociaux
La compensation d’handicap naturel (ICHN) soutien le maintien de l’activité agricole en milieu difficile
Parcelles situées en zone à rendements limités (ex. montagne) jusqu’à 50 hectares/exploitation
10 000 €/ exploitation
~ 0,9 Md €
85 000 bénéficiaires (5 M d’ha)
+ / +
+ / +
Les aides aux investissements soutiennent l’installation des jeunes agriculteurs (DJA) et la modernisation des exploitations
Conditions d’âge et de maintien (installation) et de type d’investissement (modernisation)
8 à 36 000 (installation)
Très variables (modernisation)
~ 0,4 Md €*

5000 des 8000 installations aidées/an
9000 projets d’investissement/an
+ / +
+ / -
Les mesures Agro-Environ-nementales (MAE) soutiennent diverses pratiques en compensant leur surcoût

Prime à l’herbe (PHAE)
Conversion Agriculture Bio (CAB)
Autres MAE

80 €/ha
100 à 800 €/ha
Variable
~ 0,4 Md €*
~  0,2 Md €
~ 0,1 Md €
~ 0,1 Md €

~60 000 bénéficiaires
~7 000 bénéficiaires
~40 000 bénéficiaires
- / +
+ + / +

- Les politiques agro-environnementales sont très loin d’avoir atteint leurs objectifs d’amélioration des pratiques agricoles :
  • Les surfaces en agriculture biologique n’atteignent que 6,6% en 2017 (1,8 M d’hectares certifiés ou en conversion) contre 20% attendus en 2020 (objectif révisé à la baisse depuis le Grenelle à 15% en 2022, PAP 2018). En pourcentage de la Surface Agricole Utile, la France n’est qu’à la 21ème place au niveau européen. Cette augmentation nettement moins rapide que prévue de la production ne permettant pas de répondre à la forte hausse de la demande de produits bio, ce qui entraine une augmentation des importations (à 2,7 Mds € sur 8,4 Mds  en 2017, agence bio).
  • L’utilisation des pesticides est stable depuis 2008 (en nombre de doses) alors que l’objectif était une réduction de 50%. En volumes totaux (tonnes), leur utilisation a même augmenté de plus de 20% sur la période. De plus, au moins 23 substances phytosanitaires sont encore approuvées en France et représentent plus de 40% des tonnages utilisés (27 000 tonnes en 2016) alors qu’elles ont été identifiées comme dangereuses par plusieurs expertises collectives d’études scientifiques (Rapport phyto).
o   Les surfaces non bio mais « extensives » en termes d’utilisation d’engrais et de produits chimiques sont tout de même supérieures d’au moins 7 M d’hectares concernées par les autres mesures agro-environnementales (Eval PDRH 1), soit environ 25% de la surface agricole utile ;
o   les soutiens aux économies énergétiques des agriculteurs n’ont pas eu d’impacts significatifs (Eval PPE), d’autant plus qu’ils sont plus de 10 fois inférieurs au taux réduit de taxes sur les carburants (Eval IGF 2011, voir tableau ci-dessous)


Principales modalités / conditions
Coût/avantage
par an (et /ha, animal, exploit)
Dépense publique /an (2016)
Principaux « résultats »
Evaluations de l’efficacité / efficience
Impacts 
éco / sociaux
La réduction de taxe sur le fioul-carburant permet de limiter le coût du gazole pour les activités agricoles
Le gazole non routier n’est taxé qu’à hauteur d’environ 0,2 euros/litre contre 0,6 euros/litre en 2018
0,4 euros/litre
~  0,9 Md
2,2 M de tonnes de  gazole non routier (42% du total)
- / - -
- - / -

- Les résultats très limités des politiques agro-environnementales s’expliquent principalement par le manque de cohérence entre les aides des 2 « piliers » de la PAC. En effet, l’essentiel des aides n’incitent pas aux pratiques favorables à l’environnement : moins de 1,5 Md €/an de soutiens sont accordés aux pratiques extensives, alors que les pratiques intensives supposées plus rentables bénéficient de la plupart des 10 Mds €/an d’aides au revenu (voir politiques agricoles). En effet, les taux d’aide sont plus élevés pour les grandes cultures qui sont généralement très intensives (Tableaux Rica), alors qu’ils sont nettement moins élevés pour les petites exploitations et les exploitations à majorité de prairie qui sont généralement les plus extensives.
- Ainsi, les aides agro-environnementales concernent principalement les exploitations dont les pratiques étaient déjà proches en raison de conditions géographiques (ex. zones de montagne ou de marais) ou de types d’élevages. Inversement, leur efficacité est limité dans les territoires davantage concernés par une intensification des cultures et une concurrence entre cultures et surfaces en herbes (Evaluation PDRH 2017). Les impacts sur la biodiversité ou la qualité de l’eau sont ainsi non significatifs lorsqu’il est possible de les évaluer et ils sont loin de compenser les impacts négatifs croissants des activités agricoles plus intensives.
- Par ailleurs, les soutiens proposés sont supposés compenser les « surcoûts » liés aux pratiques extensives, mais leur montant ne prend pas en compte l’ensemble des « coûts » liés aux changements de pratiques (Evaluation 2009 + Evaluation 2011 p.129-134) :

o   La réduction importante de l’utilisation des produits phytosanitaires demandent des investissements en matériels et en temps de travail qui ne sont pas couverts par les montants de ces aides, en particulier pour remplacer des herbicides par un désherbage mécanique ou thermique (Rapport phyto). S’agissant des fongicides ou insecticides, les produits de substitution (bio-contrôle) impliquent également des surcoûts, mais représentent surtout un risque de pertes de cultures ou de rendement qui peut être perçu comme important par les agriculteurs ayant l’habitude d’utiliser des pesticides
o   Dans le cas des mesures de prévention des algues vertes en Bretagne (dont la prolifération se nourrie principalement des excès d’engrais azotés utilisés sur les parcelles voisines des rivières s’écoulant dans plusieurs baies), l’évaluation du plan 2010-2015 souligne que le faible engagement des agriculteurs concernés dans de nouvelles pratiques moins intensives s’explique principalement par les évolutions  des cours des denrées agricoles et par la faiblesse des aides au regard des investissements à réaliser pour une modification importante des pratiques, notamment les études de parcelles et formations à mettre en place. Pourtant, seuls des changements importants peuvent permettre des réductions significatives des excès d’azotes, comme l’ont engagé des exploitations de la baie de Fresnaye en particulier (ex. forte augmentation des surfaces en herbes par les exploitations laitières concentrées à proximité des bâtiments d’élevage, afin de mieux répartir les effluents d’élevage sur les différentes parcelles de l’exploitation).
- Au-delà du ciblage « inversé » des aides au regard des objectifs affichés, les pratiques les moins intensives subissent une concurrence déloyale :
  • Localement par les exploitants respectant le moins les normes sanitaires, dont les sanctions sont souvent inexistantes, y compris en zone sensibles dans lesquelles les données de production ne sont même pas transmises aux services de contrôle (Evaluation algues vertes) + utilisateurs de pesticides interdits ? ;
  • Par les importations, en particulier de fruits et de viandes dont les importations augmentent principalement en raison des distorsions de concurrences sociales (salaires des ouvriers agricoles et agro-alimentaires) et environnementales (utilisation de produits chimiques dangereux moins coûteux), y compris au sein de l'UE, notamment de la part de l’Espagne (+ 0,7 Md €/an d’importations depuis 2012) ou de l’Allemagne (+ 0,5 Md €/an) ;

- L’exonération de cotisations ciblant les travailleurs saisonniers (TO-DE) limite, mais ne permet pas de compenser les concurrences sociales de ces pays ou de la Pologne, mais cette exonération accroît plutôt la précarisation des conditions d’emploi, avec une part des CDI parmi les salariés d’exploitations ou de groupements d’employeurs qui a été divisée par 2 depuis la période où des exonérations de cotisations étaient conditionnées à l’embauche en « CDI » (entre 2006-2008, MSA) ;

Principales modalités / conditions
Coût/avantage
par an (et /ha, animal, exploit)
Dépense publique /an (2016)
Principaux « résultats »
Evaluations de l’efficacité / efficience
Impacts 
éco / sociaux
L’exonération TO-DE permet de réduire le coût des Travailleurs Occasionnels ou Demandeurs d’emploi
Exonération de cotisations patronales totale à 1,25 Smic puis dégressive jusqu’à 1,5 Smic jusqu’à 119 jours/an
~4000 €/an/salarié à 1,25 Smic
~ 0,5 Md
70 000 établissements 1,6 Md de masse salariale (sur 8 Mds)
- / - -
+ / -

  • En effet, la plupart des pays importateurs utilisent des doses ou substances de produits chimiques ou antibiotiques interdits pour les producteurs français, mais autorisés pour les importateurs. C’est le cas de nombreuses substances utilisées en agriculture (Tableau autorisations d’importations), alors que les pesticides autorisés pour les importateurs sont généralement plus nocifs et moins coûteux

- S’agissant des pesticides agricoles, l’interdiction des produits dangereux est généralement très longue et difficile à obtenir en raison du règlement européen 1107/2009. Celui-ci limite en effet fortement les possibilités pour les Etats de revenir sur des autorisations accordées par le passé (Rapport phyto 2017) :
o   Ces autorisations sont accordées par la Commission Européenne si le Conseil ne se prononce pas à la majorité qualifiée des Etats (55% représentant 65% de la population), sur la base d’études du fabricant et sont examinées par l’Agence Européenne de Sécurité des Aliments (Efsa) ;
o   Lorsque de nouvelles études prouvent une nocivité importante et même lorsque l’Agence européenne des produits chimiques (Echa) la classe au titre de sa dangerosité, l’autorisation est « garantie » pour le délai initialement prévu et ce délais est même très souvent étendu ;
o   Les examens par les Agence européenne (et nationales pour la plupart) utilisent des « panels d’experts » dont une partie sont rémunérés par les industriels avant, pendant ou suite à ces examens, ce qui a été notamment le cas pour plusieurs des responsables des évaluations de la dangerosité du glyphosate (Monsanto papers, Le Monde 6 octobre 2017). De plus, ces examens portent sur des études des effets de la substance active des produits et non sur l’ensemble du produit « formulé » (incluant ses additifs « surfactant ») ;
o   Lors du réexamen, une partie des substances considérées à risque de toxicité aigüe peuvent perdre leur Autorisation de Mise sur le Marché (AMM) dans certains Etats, mais un produit alimentaire l’ayant utilisé peut toujours être importé dans un Etat ayant interdit la substance ;
o   Pour limiter les distorsions et risques sanitaires des importations, les Etats peuvent interdire en urgence l’importation de substances ou de produits en contenant suite à de nouvelles données scientifiques, mais ces mesures doivent approuvées à la majorité qualifiée des Etat membres et les Etats utilisent très peu ces possibilités (2 insecticides concernés seulement en France en 2012 puis en 2016), manifestement en raison des risques de contentieux (?) ;
o   Enfin, lorsque des produits sont interdits dans tout l’Europe, très peu de contrôles sont réalisés sur les stocks accumulés avant l’interdiction de vente, que certains producteurs continuent d’utiliser (source ?).
- Et pour les produits autorisés, les contrôles réalisés ne portent que sur les doses maximales par produit, mais pas sur le cumul des doses des différents produits, alors que les effets cumulés (« cocktail ») sur la santé sont les plus problématiques (mais les moins étudiés encore à ce jour, avec les expositions par voies aériennes), alors que les contrôles de la DGCCRF révèlent que plus d’1 produit alimentaire sur 4 contient des résidus d’au moins 2 pesticides.

-  Les impacts sur l’emploi des pratiques agro-environnementales sont pourtant très supérieurs aux pratiques « conventionnelles » :
o   La comparaison des évolutions de l’emploi entre les exploitations converties au bio (entre 2010 et 2013) et les autres exploitations de taille et d’activité équivalente indique que la conversion au bio entraîne une densité en emplois de +10% à +20% pour la plupart des tailles et types d’activités (Etude emploi Agreste). Les écarts sont souvent les plus importants pour les exploitations de petite taille, hormis pour la viticulture où l’intensité en emploi augmente encore avec la taille des exploitations ;
o   Cette estimation est même probablement un minimum dans la mesure où la plupart des exploitations en début de conversion étudiées avaient déjà des pratiques utilisant peu d’intrants et davantage de main d’œuvre (surtout en 2010 où les conversions en bio concernaient davantage les agriculteurs déjà impliqués)
o   En effet, l’agriculture biologique implique une moindre utilisation d’engrais et de produits phytosanitaires et donc une plus grande intensité de travail, en particulier pour réaliser les activités de désherbage mécanique ou thermique, la veille des plantes et animaux et appliquer les traitements biologiques. Et les exploitations de taille moyenne sont plus généralement plus intensives en emploi, en raison d’une moindre utilisation de machines agricoles et d’économies d’échelle moins importantes : les exploitations de taille moyenne ont donc une densité en emploi[1] supérieure de +20% à +100% à celle des très grandes exploitations selon les types d’activités (voir tableaux RICA), les différences étant particulièrement élevées pour les grandes cultures et plutôt limitées pour l’élevage bovin ;


[1] Emploi équivalent Temps plein/CA hors subventions (= Unité de Travail Agricole / Production de l’exercice)


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