vendredi 16 décembre 2022

La grande inversion - introduction

A l’origine de cette enquête, un constat issu de la lecture de plusieurs centaines d’évaluations de politiques publiques : les travaux scientifiques soulignent le plus souvent l’efficacité limitée des principales politiques et leurs impacts économiques et sociaux négatifs. Ces jugements négatifs sont pourtant issus de méthodes et d’acteurs très diversifiés (chercheurs, bureaux d’études, corps d’inspection, cour des comptes, etc.) et sont formulés en référence aux objectifs décidés par les autorités publiques elles-mêmes

Nous allons voir qu’en analysant la diversité de ces travaux, il apparaît que les résultats limités des politiques publiques s’expliquent principalement par une « inversion » des moyens globalement utilisés (subventions, fiscalités, réglementations, etc.) au regard des objectifs affichés.

L’analyse de ces « inversions » permet également de retrouver des stratégies récurrentes utilisées pour camoufler ces incohérences et inefficacités : valoriser « des résultats qui n’en sont pas » et/ou « gonfler des dépenses » en réalité marginales et en baisse, ou, lorsque les échecs sont trop évidents, les justifier par des « contraintes de dépenses » ou par des « contraintes techniques » plus ou moins inventées.

Pourtant, qu’il s’agisse des politiques des transports, de l’emploi ou de police-justice, nous verrons que des alternatives « cohérentes » et efficaces sont possibles et ont déjà été éprouvées dans des pays voisins ou dans des expérimentations locales ou régionales.

En revanche, les réponses à la question du « pourquoi » sont plus difficiles à préciser et relèvent davantage d'enquêtes journalistiques... même si l'analyse des impacts de ces politiques donne des indices importants sur les acteurs ayant influencé ces décisions « inversées ».

Les principales politiques publiques ont une efficacité limitée et/ou des impacts négatifs

En lisant les divers travaux d’évaluation des politiques publiques (publiés), le premier constat qui s’impose est que ces travaux soulignent le plus souvent une efficacité limitée (voire très limitée) et/ou des impacts négatifs des principales politiques publiques. Ces constats « évaluatifs » sont pourtant issus de méthodes et d’acteurs très variés (chercheurs, bureaux d’études, corps d’inspection, cour des comptes, etc.) et sont formulés en référence aux objectifs décidés par les autorités publiques elles-mêmes. 

Le degré d’efficacité d’une politique ou d’un dispositif est certes relatif aux références choisies, mais nous avons retenu des critères plutôt simples et « minimums » pour qualifier une politique de peu ou pas efficace :

o   L’efficacité : elle est jugée positive (+) lorsqu’au moins 50% de l’objectif est atteint et/ou que moins de 50% des dépenses ne relèvent pas de l’« effet d’aubaine » (= le résultat observé aurait été le même sans le soutien public) ;

Au-delà des effets d’une politique sur ses objectifs « directs » (ex. augmenter le nombre d’emplois, réduire les infractions ou réduire les émissions de gaz à effet de serre), une politique peut être jugée +ou- efficiente (si les effets ont été obtenus avec un coût élevé) et avoir des impacts positifs ou négatifs sur d’autres objectifs plus généraux, notamment économiques et sociaux :

o   Les impacts économiques : ils sont jugés (+) lorsque le dispositif augmente davantage l’activité économique nationale qu’il la réduit (via son financement prélevé sur d’autres activités) ;

o   Les impacts sociaux : ils sont jugés (+) lorsque le dispositif bénéficie davantage aux 50% les moins aisés qu’aux plus aisés = effets « redistributifs » (ou régressifs si les gains sont > pour les plus aisés).

Si l’on considère les dispositifs publics les plus importants et les moyens qui leur sont consacrés, la plupart ont à la fois des efficacités limitées et des impacts économiques et sociaux plutôt négatifs, alors que certains dispositifs sont plus « mixtes » (effets limités mais impacts positifs ou efficacité importante mais impacts négatifs). Les dispositifs ayant à la fois une efficacité élevée et des impacts positifs existent mais ils couvrent une part limitée des dépenses publiques. En effet :

- Plus de 80% des dispositifs les plus « importants » (en montants de dépenses publiques) ont une efficacité faible à très faible. C’est notamment le cas des réductions des cotisations patronales au-dessus de 1,5 Smic (~ 25 Mds €/an), des aides au logement (~ 16 Mds €/an), ou du remboursement des médicaments (~ 30 Mds €/an). Certains de ces « gros » dispositifs ont également des impacts économiques et/ou sociaux négatifs (par exemple les  aides agricoles « à l’hectare »), voire augmentent d’autres dépenses publiques qui visent à limiter leurs impacts négatifs (par exemple, plus d’1/3 de l’assurance chômage est consacrée à compenser la précarité encouragée par d’autres dispositifs).

- A l’inverse, les principaux dispositifs dont l’efficacité est élevée et les impacts sociaux et/ou économiques importants sont pour la plupart nettement moins financés : la sécurité routière, le congé individuel de formation ou le fonds chaleur ont une efficacité très élevée, mais disposent de moyens allant de 0,3 à 2 Mds €/an

Les résultats des évaluations des principales politiques publiques

Domaines*

Principaux objectifs

Principaux dispositifs                  (dépenses 2017-2021 en Md €/an)

Dépenses publiques    Md €/an*

Evaluations de l’efficacité et des impacts

Rénovation

Atteindre 500 000 rénovations « performantes » de logements/an

Ma prime rénov’ et CEE (3), TVA réduite (1,5), Chèque (0,7) et Habiter Mieux (0,6)

6

 

 

 

 

 

Energie

Atteindre 23% d’énergies renouvelables en 2020 (vs. 12% en 2008)

Renouvelables historiques (5) et nouvelles (1), Nucléaire (4), Gaz (2) et Fonds chaleur (0,3)

12

 

 

 

 

Transports

Augmenter la part du fret non routier et des transports collectifs à 25% des en 2020 (vs. 12 et 18% en 2010)

Routes (18), Transports en commun et TER (12), Aérien (9), Gazoles (9) et Réseau ferré (2,5)

52

 

 

 

 

 

Agriculture

Stabiliser les revenus agricoles et atteindre 20% de surfaces bio en 2020 et -50% de pesticides (2008-2018)

Aides à l’hectare/animal (8), exonérations (2), filières (1,5), recherche (1,5) handicap naturel (1) et agroenvironnement (0,5)

15

 

 

 

?

 

Emploi

Réduire le taux de chômage à moins de 7% et réduire les contrats courts et la pauvreté

Réductions générales (60) et ciblées (20+20), aides directes (>15), contrats aidés (5) + chômage (40), RSA (5) et Prime activité (8)

170

 

 

 

 

 

 

 

Logement (hors rénovation)

Produire 500 000 logements par an                 (surtout en zones « tendues »)

Aides au logement (16), aides fiscales (7+2), TVA réduite (3,5), logements sociaux (3), hébergements (3) et prêt à taux zéro (0,5)

40

 

 

 

 

 

 

Formation

Augmenter l’accès aux formations sup et continues des moins qualifiés et aisés 

Formations supérieures (16), continue salariés (12), demandeurs d’emploi (5), alternance (4**) et aides étudiants (5)

45

 

 

 

 

 

Santé

Améliorer l’accès aux soins et l’espérance de vie en bonne santé

Tarifs hospitaliers (85), consultations (40), médicaments (30), indemnités journalières (15), autres biens (12) et gestion (8)

200***

 

 

 

 

 

 

Retraite

Garantir un droit équitable à la retraite et réduire le taux de pauvreté des retraités

Retraites de base (200) et complémentaires (80) et réversion (35), dont minimas (5), périodes inactives (12) et majorations (9) 

320

 

 

 

 

 

 

Police-Justice

Réduire les atteintes aux biens et aux personnes et garantir l’accès de tous à la sécurité et à la justice

Polices (25), Justice (10) et contrôles des autres administrations (<2)

40

 

 

 



























Sources : Documents budgétaires, Dépenses fiscales, Annexes PLFSSet plus de 300 bilans et évaluations (voir chapitres suivants)                      

*Ces 10 domaines représentent environ 70% des dépenses publiques (~900 des 1300 Mds en 2019), les principales autres politiques non étudiées ici étant celles de l’école (~100 Mds/an), de la famille (~80 Mds), du handicap-autonomie (~80 Mds), de la défense (~50 Mds), ainsi que les intérêts de la dette publique (~40).                        

**Alternance hors enseignement secondaire ***Avant la crise Covid, hors soins handicap et dépendance (~20 Mds/an) et hors dépenses obligatoires de complémentaires santé (~40 Mds/an)

L’analyse globale de ces politiques montre la « grande inversion » entre moyens et objectifs

Mais comment expliquer cette masse de politiques peu efficaces et/ou aux impacts négatifs ? En comparant les analyses des principales politiques publiques, 3 grands ensembles d’explications peuvent être identifiés :

1. Les subventions et fiscalités soutiennent globalement l’inverse des objectifs visés par les principales politiques publiques et/ou favorisent des activités aux impacts négatifs sur l’emploi, le pouvoir d’achat ou la santé (notamment dans les domaines de l’agriculture, de l’emploi et du logement). Les tarifications constituent également un frein majeur aux objectifs affichés dans plusieurs domaines (notamment dans l’énergie, les transports et la santé) ;

2. Les « grands » systèmes « sociaux » (formation, retraite, santé et famille) ont des règles qui impliquent des transferts allant de la majorité des ménages aux plus favorisés, les personnes en bénéficiant le moins étant paradoxalement ceux dont les besoins sont les plus importants.

3. Les moyens et sanctions de police-justice sont tellement limités qu’ils aggravent l’inefficacité de la plupart des politiques publiques. L’absence d’application des règlementations aggrave certains problèmes publics, augmente les dépenses publiques engagées pour les atténuer (en particulier les dépenses de santé et d’action sociale) et diminue les ressources publiques (fraudes fiscales et sociales) et privées (dommages non indemnisés) des victimes directes et indirectes.

Parmi les principales politiques publiques analysées, nous verrons qu’il existe différents types et degrés d’ « inversion » :

Types et degrés d’inversions selon les grands domaines d’intervention publique

Domaines

Moyens « inversés »

Montants et types d’inversions

Rénovation

 

 

Subventions, tarifs et règles/contrôles

 

6 fois plus de soutiens aux « petits travaux » qu’aux rénovations « performantes » + tarifs régressifs (favorables à l’absence de rénovation et à la surconsommation)

Energie

Moins de soutiens aux énergies renouvelables, très peu pour les plus efficientes (ex. bois) + tarifs incitant au gaz  

Transports

20 fois plus de soutiens au fret routier longue distance qu’au fret ferroviaire + malus marginal sur les fortes émissions                            

Agriculture

90% des aides pour les pratiques intensives + soutien indirect des imports très intensifs

Emploi

Fiscalités et  allocations

100 Mds/an de soutiens sans condition + 30 Mds/an d’avantages aux contrats courts

Logement

2 fois moins de fiscalité pour les « non-logements » pourtant 2 fois plus rentables + chute des soutiens au logement abordable

Formation

Modalités d’accès puis dépenses par bénéficiaire

3 fois moins d’accès et 6 fois moins de dépenses pour les moins qualifiés et/ou les moins aisés

Santé

Avantages aux soins « simples » et aux brevets peu utiles au détriment du traitement des pathologies complexes                    

Retraite

A cotisations égales, 2 à 3 fois plus de retraites pour les plus aisés

Police-Justice

Moyens de contrôle et modalités de sanction (transversal)

Moins de 20 Mds/an de contrôles et de « sanctions » contre plus de 100 Mds/an de gains frauduleux et de dommages

Nous détaillerons dans cette série comment les degrés d’ « inversion » des politiques publiques peuvent être analysés à 2 échelles :

1. L’échelle « globale » compare les soutiens des pratiques « souhaitées » (par les objectifs de la politique) aux montants qui favorisent l’inverse de ces pratiques, à limiter ou stopper pour atteindre les objectifs visés. Cette échelle « globale » des soutiens vs. dissuasions est illustrée dans le tableau ci-dessus, mais elle ne permet pas de rendre compte de l’ensemble des inversions de moyens mis en œuvre au regard des objectifs. En effet, cette échelle globale doit être complétée par une analyse plus détaillée de ce que « change » concrètement les politiques publiques aux pratiques et situations visées : 

2. L’échelle « individuelle » précise les modifications des « coûts et avantages » entre des alternatives au cœur de la politique publique. Par exemple, le choix entre le transport de marchandise longue distance par la route vs. par le rail ou le choix entre une succession de contrats court vs. un contrat long. En effet, lorsque les pratiques « à diminuer » ont un rapport avantages/coût déjà (« naturellement ») très favorable sans soutien public particulier, le simple fait de ne pas intervenir (pour altérer ce rapport favorable et/ou pour améliorer le rapport avantages/coût d’une alternative souhaitée) est une inversion de facto des moyens utilisés au regard des objectifs.

Par exemple, les fiscalités de l’immobilier sont 2 à 3 fois moins favorables à la production de logements abordables qu’aux locations de courte durée (dont les rendements sont pourtant « naturellement » plus élevés), ainsi qu’à la rétention foncière (qui permet de diminuer son imposition) ou à la construction de bureaux (qui impliquent des gains nets pour les communes, alors que les logements impliquent des pertes).

Nous verrons également que la plupart de ces « inversions » sont en place depuis longtemps, mais que la tendance est généralement à l’aggravation, notamment dans les domaines du transport, de l’emploi, du logement, de l’agriculture, de la formation et de la santé.

Les stratégies de confusion utilisées pour camoufler ces résultats et inversions

L’analyse globale de ces inversions permet de retrouver les stratégies récurrentes utilisées pour « camoufler » l’inversion des politiques et leurs résultats limités ou pour « éviter » de mettre en œuvre des solutions cohérentes. Dans certains cas, les stratégies de confusion peuvent être ambitieuses : elles visent à transformer des efficacités limitées en « succès » avec l’une et/ou l’autre des manœuvres suivantes :

1.     Afficher des résultats qui n’en sont pas, en confondant les résultats d’un politique avec des évolutions liées à d’autres facteurs (exemple des politiques de l’emploi) ou avec les réalisations de cette politique en termes de « nombre d’aides » (exemples des politiques de rénovation et de conversion des véhicules), ou encore en sélectionnant les cibles les plus « faciles » pour obtenir des « résultats » (exemples des politiques de formation et de sécurité) ;

2.   Gonfler des dépenses ou actions en réalité limitées, voire négatives, en confondant les dépenses anciennes et nouvelles ou les dépenses publiques avec les dépenses totales (publiques + privées) consacrées à un domaine (exemples des politiques énergies et transports).

Dans d’autres cas, lorsque le manque de résultats, voire d’actions « tout court » sont trop difficiles à maquiller, nous verrons quelles stratégies sont utilisées pour justifier les difficultés d’une politique par :

3.    Des contraintes de « dépenses » qui deviennent l’objectif principal de la politique, sans prendre en compte les transferts vers d’autres dépenses souvent supérieures et inutiles (exemples des politiques de l’énergie, de la santé, de la retraite et de police-justice) ;

4.    Des contraintes de « besoins » ou des « risques de pénuries » inventés ou très exagérés (stratégies d’« évitement »), utilisés pour expliquer que l’objectif prévu est décidément trop difficile à atteindre pour des raisons techniques difficiles à comprendre par le commun des mortels (exemples des politiques agricoles, de l’énergie, du logement et – à nouveau - de police-justice).

Pour les 3 premiers types de falsifications (stratégies de « confusion »), nous verrons qu’elles reposent sur une confusion volontaire entre les différents « niveaux » d’une politique publique. En effet, la plupart des politiques publiques (et des actions collectives en général) peuvent être schématisées en distinguant les « réalisations » d’actions, des « moyens » utilisés et des « résultats » (directs) et « impacts » (plus indirects) des actions mises en œuvre :

Par exemple, lorsqu’on aide 1 million de petits travaux par an, ce sont des REALISATIONS de la politique. Les RESULTATS étant l’augmentation des travaux de qualité engagés grâce à ces aides. Et lorsque le chômage se réduit, on peut l’expliquer par les aides fiscales accordées à la moitié des emplois du pays, mais cette aide peut n’avoir contribué qu’à la marge à la baisse du chômage. Cette baisse n’est alors pas un IMPACT de la politique, mais une évolution générale principalement liée à d’AUTRES FACTEURS. 

Pour le 4ème type de falsification (stratégie d’ « évitement »), nous verrons que les « contraintes » utilisées dans les justifications des gouvernements sont le plus souvent peu questionnées par les médias, malgré les montagnes de données scientifiques et d’enquêtes ayant prouvé leur caractère limité et contingent. Des « coûts trop élevés » se révèlent être des coûts limités, voire des gains dans la quasi-totalité des cas, alors que des « risques majeurs » régulièrement agités ne concernent finalement que les bénéficiaires actuels des problèmes publics… que la politique est supposée « résoudre ».

Pourtant des politiques « non inversées » sont souvent déjà éprouvées

Qu’il s’agisse des politiques des transports, de l’emploi ou de la justice, des politiques cohérentes et efficaces sont pourtant possibles. Selon les domaines, des exemples de politiques menées à l’étranger ou de politiques locales menées en France démontrent que les objectifs des principales politiques publiques pourraient être atteints ou du moins que des améliorations très importantes sont possibles :

Par exemple, nous verrons comment :

- Dans des pays voisins, des politiques nettement plus cohérentes et efficaces sont menées pour atteindre des objectifs similaires à ceux fixés en France, que ce soit dans les domaines des transports (Suisse), de l’énergie (Suède) ou de la justice (Danemark) ; 

- A l’échelle locale (en France ou dans des pays voisins), des expérimentations ont permis de multiplier par 2 à 3 les résultats obtenus à l’échelle nationale, par exemple dans les domaines de la rénovation, du logement ou de la formation, malgré des dispositifs nationaux peu efficaces, voire limitants ;  

Il est donc déjà démontré qu’il est possible de réduire 3 fois plus rapidement notre dépendance aux fossiles, de réduire de moitié les dépenses contraintes de la majorité de la population ou encore de dissuader la majorité des fraudes actuellement impunies. Mais alors pourquoi ne pas simplement le faire ? Pourquoi cette préférence pour la perte de souveraineté, la dévalorisation du travail ou l’incitation aux fraudes et nuisances ?

Alors comment expliquer ces grandes « inversions » ?

Les réponses à la question du « pourquoi » sont plus difficiles à préciser. En effet, les motifs et influences sur les décisions sont le plus souvent peu documentés et difficiles à observer. Nous verrons que l’analyse des bénéficiaires « indirects » des politiques menées donne des indices sur les acteurs ayant influencé ces décisions « inversées », les groupes les plus actifs variant selon les 4 grands ensembles de politiques publiques que nous aborderons (voir les « 4 grandes inversion » ci-dessous).

En complément de ces indices, seules des enquêtes davantage journalistiques peuvent préciser les modalités de ces influences, ainsi que les autres explications de ces décisions. Le plus souvent, les groupes d’intérêt bénéficiaires de facto des politiques « inversées » influencent les décideurs publics directs (exécutifs et grands élus) et indirects (cabinets et hauts fonctionnaires) en utilisant des techniques de chantage (notamment à la délocalisation des activités). Dans certains cas, les décisions sont également influencées par diverses pratiques de corruption, le plus souvent « différée » (en proposant à un décideur public de participer à la direction d’un grand groupe), mais parfois « directe » (via des rémunérations directes de décideurs publics qui ont conservé une activité d’avocat ou de conseil).

En complément de ces explications « par les bénéficiaires », certaines politiques inversées permettent d’apporter des arguments électoraux en affichant des résultats artificiellement « gonflés ». Ces cas correspondent à la 1ère stratégie de confusion  («Afficher des résultats qui n’en sont pas ») qui sera détaillée pour les politiques de rénovation énergétique et de l’emploi. Dans les cas où ces inversions ne permettent pas aux gouvernants de gonfler leurs résultats, nous verrons que d’autres motivations moins « directes » semblent à l’œuvre. En particulier, le « pandorisme[1] » (exemple du logement) et l’esprit de « caste » (exemple de la formation). Ces motivations sociales et idéologiques mobilisent parfois largement les groupes participant aux décisions publiques en faveur de politiques « inversées », sans besoin de chantage, de corruption ou de bénéfice électoral.

Enfin, certaines inversions peuvent parfois perdurer, voire s’aggraver grâce à des « compromis » plus ou moins explicites avec des opposants également soumis au pandorisme, mais pour leurs propres idéologies ou intérêts (exemples des retraites et de la police-justice)…

Les 4 grandes inversions

Nous verrons dans cette série les spécificités des 4 grands ensembles de politiques « inversées » :

1.      La mobilisation de subventions, tarifs et régulations globalement défavorables aux objectifs affichés des politiques de « transition écologiques » ;

2.      Le soutien public massif de l’emploi précaire et de la pénurie de logements abordables, au prix d’une augmentation d’autres dépenses publiques visant à en limiter les « dégâts » ;

3.      Le détournement des règles des grands systèmes sociaux (formation, santé et retraite) afin d’opérer un retournement de la redistribution : ceux qui ont le moins finançant ceux qui ont déjà le plus ;

4.      La limitation volontaire des contrôles et sanctions qui aboutissent à valoriser systématiquement les différents types de fraudes et délits et à limiter l’efficacité des autres politiques publiques.



[1] La crainte d’ouvrir la « boîte de pandore » est souvent un motif central souligné dans les débats parlementaires et autres échanges préparant les décisions publiques. Par exemple, les rares régulations visant les logements indignes sont fortement entravées au motif du risque d’ouvrir la boîte de pandore de la « fin de le propriété privé », ce qui permet aux marchands de sommeil de prospérer en toute impunité. Voir plusieurs grands exemples historiques détaillés dans « Capital et idéologie » de T. Piketty (2019)

Aucun commentaire: