Depuis 2017, la stratégie « formations
professionnelles et supérieures » du gouvernement est centrée sur les
objectifs de « réduction de l’échec en licence » et de
« développement de l’apprentissage », avec comme principales
modifications des dispositifs existants :
1.
La mise
en place de nouvelles procédures de sélection pour l’entrée en licence, avec un classement des candidats selon leur
maîtrise des « pré-requis » de la formation et un suivi des demandes
et acceptations des formations via le logiciel « Parcoursup ». Cette
nouvelle procédure visant à diminuer le taux d’échec en 1ère année
de licence (estimé à 60%) ;
2.
L’adoption
de nouvelles régulations de l’apprentissage, dont notamment la
libéralisation de l’ouverture des Centres de Formation des Apprentis (précédemment
autorisées par les
Régions) et le relèvement de l’âge maximum de 26 à 30 ans, dans le but d’atteindre
l’objectif de 500 000 apprentis (vs. 420 000 en 2017
auxquels s’ajoutent 240 000 contrats de professionnalisation en
alternance).
Ces modifications
s’inscrivent dans un contexte de forte croissance du nombre d’étudiants (+
400 000 en 10 ans dont +60 000 en 2018) et d’une réduction
progressive du « coût par étudiant » d’environ 10% sur 5 ans (Références
statistiques), soit 3 Mds d’euros de réduction des dépenses publiques pour les formations
supérieures initiales (sur ~ 25 Mds/an au total). Les dépenses publiques pour
l’alternance (secondaire + supérieur) étant toujours d’environ 6
Mds/an pour l’apprentissage (dont 2 Mds/an d’aides aux employeurs) et 1,5
Mds/an pour les contrats de professionnalisation.
Des effets de « sélection » et de
« concurrence » majeurs mais peu pris en compte
La
confrontation des évaluations disponibles sur les parcours dans le supérieur et
l’apprentissage à ces deux ensembles de mesures illustre d’une part l’importance des effets de
« sélection » des « bénéficiaires » (pour améliorer de
manière artificielle les résultats des politiques publiques) et d’autre part les problèmes d’ « incohérences
externes » entre différentes politiques mises en œuvre dans un même
domaine. En effet :
o
Alors
que l’échec en licence s’explique principalement par l’exclusion des bacheliers
« fragiles » des filières courtes (BTS et IUT notamment) et/ou par leurs difficultés financières,
les impacts de ces « sélections »n’ont
pas été traités et une nouvelle sélection a été instaurée en licence, afin d’en
limiter le taux d’échec « affiché » et de contenir l’augmentation des
dépenses publiques du supérieur ;
o
En parallèle, il est attendu que le
développement de l’apprentissage améliore l’emploi des jeunes, alors que la
relation est plutôt inverse : c’est
davantage la croissance des secteurs employeurs qui permet de développer
l’apprentissage, qui est par ailleurs concurrencé par d’autres formes
d’alternance (les contrats de professionnalisation et les stages), moins
utilisées dans les pays où l’apprentissage est le plus développé.
Pourtant, nous verrons que l’analyse des dispositifs ayant permis d’améliorer l’accès aux formations de qualité souligne davantage l’intérêt d’un accès sans sélection, mais bien accompagné et financé. Cela permettrait de concrétiser l’idée d’ « émancipation », en instaurant un droit global équivalent à la formation initiale et continue, alors que l’harmonisation des différentes formes d’alternance pourrait en améliorer fortement les impacts.
Une sélection qui augmentera les « succès » en
licence, mais avec quels « effets pervers » ?
Hormis
l’instauration d’accompagnements obligatoires dans certains cas, qui devraient permettre
de réduire l’échec des étudiants « fragiles » (acceptés avec la
modalité « oui si »), l’augmentation visée du taux de succès en
licence est basé sur une très vieille « recette » : l’exclusion des profils au potentiel de
succès le plus « limité », avec de nouveaux effets pervers
particulièrement importants :
o
Parmi
les 812 000 inscrits sur Parcoursup en 2018, plus de 200 000 ont
abandonné la procédure avant la rentrée. Pourtant, les choix et les
profils de ces « abandons » et « inactifs » n’ont pas été
rendu public. Parmi eux, environ 80 000 n’ont reçu aucune proposition et
150 000 n’ont finalement pas accepté des formations non souhaitées. En 2019,
environ 21% des bacheliers professionnels n’ont reçu aucune proposition, contre
moins de 3% des bacheliers généraux (l’écart s’étant aggravé entre 2018 et 2019) et
le nombre total d’inscrits n’ayant pas reçu ou accepté de propositions n’a pas
été précisé ;
o
Les
critères utilisés pour sélectionner les étudiants en 1ère
année des formations « Parcoursup » (~240 000
en licence, 130 000 en BTS, 52 000 en IUT et 40 000 en Classe Préparatoire) ne sont pas rendus publics, ce qui accroît
les soupçons de discriminations, notamment en lien avec le quartier ou le lycée
d’origine, y compris par le défenseur
des droits ou la cour des
comptes ;
o
Avec ces différents « tris », le taux de
succès en licence devrait donc augmenter, d’autant plus que cette sélection entraîne une « auto-exclusion » de
nombreux bacheliers aux diplômes ou notes les moins élevées (Le Monde
19 juillet). Ceux-ci demandent donc moins certaines licences, qui en accepteront
donc d’autant moins et relèveront ainsi leur taux de réussite en première année…
Reste
donc à savoir ce que feront ces « recalés » ou
« auto-exclus » des licences et formations courtes de Parcoursup. Le
volume de places dans l’enseignement supérieur public étant maintenu à un
niveau inférieur aux demandes (voir plus bas), quelle part des bacheliers iront
tenter leur chance dans des formations payantes (+
100%
en 15 ans) ? Combien accèderont tout de même à des licences, mais dans des
domaines non souhaités? Et quelle part renoncera tout simplement à faire des
études ?
Une augmentation des
apprentis du supérieur accentuée par la réforme et une relation toujours
inversée entre apprentissage et emploi
S’agissant
de l’apprentissage, la possibilité d’y accéder entre 26 et 30 ans et
l’ouverture de nouveaux CFA permettent déjà une augmentation
« mécanique » du nombre d’apprentis. En effet, l’allongement de l’âge
expérimenté dans sept
régions expliquait déjà plus de 50% de l’augmentation du nombre d’apprentis en
2017 (Dares
2018)
et la croissance enregistrée en 2018 (+ 18 000) provient essentiellement des
nouvelles places dans le supérieur (Depp
2019),
comme celle de 2019 (~80% des
+30 000 apprentis, Depp
2020).
De manière similaire, le contrat de
professionnalisation (240 000 en 2017),
l’« autre » voie en alternance (étrangement absente des débats publics), s’est principalement développé auprès des
candidats de plus de 26 ans (1/4 des contrats en 2017) et grâce à des
modalités (durées, rythmes…) adaptées aux spécificités des branches
professionnelles (qui pilotent ces contrats). Ces deux types de contrats
devenant davantage concurrents, les
transferts entre modalités d’alternance s’accentuent : la hausse
de l’apprentissage en 2019 (+16%) s’explique ainsi notamment par la réduction
historique des contrats de professionnalisation (-7%
en 2019, après +12,5% en 2018).
En
revanche, à moyen terme, le nombre
d’apprentis restera principalement déterminé par les évolutions de l’emploi.
Celles-ci expliquent environ 80% des évolutions (surtout à la baisse) de
l’apprentissage dans le secondaire en 2009-2014 (Insee
2017),
car c’est principalement l’offre de contrats qui détermine les volumes
d’apprentis. Par exemple, 40% des
demandes d’apprentissage n’ont pas trouvé de contrat dans une expérimentation de
2011. En effet, les employeurs attendent un niveau d’activité minimum avant
d’embaucher des apprentis compte tenu de leur coût (50% du Smic brut en
moyenne, mais pour seulement +ou- 20h en entreprise, soit l’équivalent du Smic
horaire).
Le
développement du nombre d’apprentis depuis 2016 (du moins jusqu’à la crise
économique de 2020) est donc rendu possible par le développement de l’emploi et
est accentué par l’ouverture de places pour les plus âgés et dans le supérieur.
Cette croissance accentue donc la tendance à long terme de sélection croissante de jeunes du supérieur et/ou qui ont le moins de problèmes
d’insertion. Or cette tendance accentue le
malentendu sur les « impacts » de l’apprentissage. En effet, le taux
de chômage à 3 ans des apprentis est certes 2 fois inférieur à celui des
diplômés « scolaires » du même niveau (hors ingénieurs), ce qui
explique l’intérêt politique pour cette voie. Mais aucune étude ou expérience n’indique qu’une augmentation du nombre
d’apprentis réduira globalement le chômage des jeunes. En effet :
1. Ces différences
d’ « insertion » s’expliquent en partie par l’alternance en soi,
mais surtout par les profils des apprentis sélectionnés, moins défavorisés et
davantage motivés (Céreq 2016
et Ceet 2017) ;
2. De plus, les apprentis bénéficient pour 1/3 de
recrutements « en interne », sans lesquels l’avantage auprès des
employeurs est quasi nul selon de récents
testings ;
3. Surtout, le recrutement de jeunes « alternants »
se fait en substitution de jeunes « scolaires » (jugés moins
« employables » et/ou non déjà « testés ») et ne créé donc
pas d’emploi « net » ;
En
résumé, les apprentis sont davantage en emploi notamment parce qu’ils ont un
profil déjà plus « employable » et c’est avant tout l’emploi qui
impacte l’apprentissage plutôt que l’inverse.
Plus globalement, la diffusion de l’apprentissage aboutira même progressivement à réduire
sa plus-value (c’est déjà le cas en Allemagne, Ceet 2017),
comme cela est constaté pour les qualifications « supérieures »
au niveau international (OCDE Educ 2010).
Pas de changement sur les principaux facteurs limitant les
« accès » et les « succès »
Plus
largement, ces 2 ensembles de stratégies n’impactent pas les principaux
facteurs qui limitent les « accès » puis les « succès » dans
les formations supérieures et l’apprentissage. Pour les formations
supérieures, ce sont surtout les restrictions d’accès à certaines filières et
les difficultés financières des étudiants qui expliquent les difficultés constatées
:
o
Les
bacheliers professionnels refusés en BTS et IUT
représentent plus de 25% des décrocheurs
en licence. En effet, sur les 180 000 bacs pro par an, seuls 40 000
ont accès à ces formations courtes, alors qu’au moins 60 000 souhaitaient
y accéder (un
tiers sans accès). Les refusés sont souvent ceux ayant
les moins bonnes notes et constituent la majorité des 20 000 bacs pro
contraints d’aller en licence, dont 95% en sortiront sans diplôme (sur 50 000 sortants
sans diplôme du supérieur 7 ans après leur
inscription). Pourtant, ces bacheliers « décrochent » 3 à 4 fois plus
souvent en licence qu’en BTS, notamment en raison du faible encadrement à
l’université (parfois même peu adapté pour une partie des « bons
élèves » Céreq
2009). Ainsi, les étudiants refusés en BTS ou IUT ont 2
fois plus de
chance d’être en échec en licence que ceux ayant choisi d’aller en licence. Depuis 2018, des « quotas » (non précisés
et variables selon les académies) semblent avoir permis d’augmenter l’accès aux
BTS des bacs pro (de 30 à 35% des 136 000 entrants).
Mais les données de 2019 ne sont pas
comparables aux années précédentes (!) et le total
des entrées en BTS a été réduit en 2019 (-2,3%) ;
o
Plus
globalement, les places dans les BTS (+8% en 8 ans) et à l’université (+14%) ne suivent pas l’augmentation du nombre
d’étudiants (+18%), ce qui implique donc un transfert des formations
courtes (dont le coût est > à 10 000 euros/étudiant) vers les licences
(dont le coût est < à 4000 euros/étudiant Budget p.24-25 et 87 hors IUT)
et, au-delà, vers les formations privées non sélectives mais payantes, qui sont
en forte croissance, notamment depuis 2017 :
o
En complément, les systèmes de bourses, malgré un léger effet sur les
inscriptions en Licence 1 et en Master (Fack
& Grenet, Ined 2013), ne sont pas suffisants pour limiter
les difficultés financières et le recours aux emplois parallèles des
étudiants les plus modestes. Or ces freins « financiers » représentent plus de 30% des décrochages à
l’université (Insee
2013 p.15-16), auxquels
s’ajoutent de nombreux étudiants « fantômes » inscrits principalement
pour pouvoir bénéficier des aides liées au statut
d’étudiant, sans autre ressource ou dans l’attente d’un
concours (estimés
à 20% au Havre) ;
Enfin,
s’agissant de l’alternance, les contrats
d’apprentissage restent concurrencés par les contrats de professionnalisation (plus
souples, malgré l’augmentation récente de la « souplesse » des durées
de formation en apprentissage) et surtout
par les stages. Ces derniers sont en effet une forme d’alternance
« low cost », souvent 2 à 3 fois moins coûteuse pour les employeurs
de jeunes en formation supérieure. En prenant en compte l’ensemble de ces
formes d’alternance, le nombre de jeunes
en alternance est en réalité globalement plus élevé en France qu’en Allemagne
(où l’alternance est centrée sur des contrats d’apprentissage plus longs, moins
subventionnés et surtout positionnés dans les services et le supérieur).
Pourquoi
ne pas appliquer (au moins en partie) l’idée d’émancipation ?
L’accès à la formation supérieure étant très inégal
(plus de 4 fois inférieur pour les enfants d’ouvriers que pour les
enfants de cadres), principalement en raison des diverses sélections (dans les filières
« courtes », par les entreprises ou par l’argent), pourquoi ne pas concrétiser l’idée d’« émancipation »
et instaurer un droit équivalent à la formation supérieure et continue tout au
long de sa vie ? Après le secondaire, toute formation devrait pouvoir
être financée jusqu’à un plafond équivalent pour tout français, alors que les
étudiants issus de milieux aisés bénéficient actuellement de 3 à 10 fois plus
de dépenses publiques (voir étude
Cerc/ Edhec 2008 + politiques
de formation). En effet, les évaluations des
différents dispositifs de formation indiquent que les rares cas où les moins
qualifiés accèdent à des formations de qualité (en particulier le CIF, Bilan
AN + Impact
CIF),
sont caractérisés par un ciblage de ces publics, une liberté de choix des
formations et une rémunération minimum (maintien du salaire ou des allocations
chômage).
Plusieurs modalités seraient envisageables pour ce
« Crédit formation » global (voir Propositions
ici),
alors que l’amélioration des accès et des parcours en alternance pourrait notamment
s’appuyer sur un alignement du statut des stagiaires (au moins 800 000 par
an, Références
statistiques) sur les autres types d’alternance. En
effet, les stages relèvent généralement de l’emploi
déguisé, avec des conséquences lourdes sur les droits
(chômage et retraite) des jeunes concernés. Ils représentent donc une
concurrence déloyale envers les autres formes d’alternance, et surtout envers
les employeurs les plus honnêtes qui n’en abusent pas. Car les « leçons » du modèle allemand de l’apprentissage sont en
réalité celles des effets vertueux de l’investissement des entreprises dans la formation
de jeunes, qu’elles « gardent » ensuite plus
souvent qu’en France, où beaucoup de stagiaires et d’autres alternants sont
considérés comme de la main d’œuvre peu
coûteuse, car peu rémunérée (stagiaires) ou massivement
subventionnée (apprentis).
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