Présenté fin avril
2018, le plan de rénovation des bâtiments
a repris les objectifs du gouvernement précédent (« rénover 500 000 logements par an dont 100 000
logements sociaux et 150 000 logements privés de ménages aux revenus
« modestes »), avec la perspective de rénover d’ici 10 ans
environ 40% des 4 millions de « passoires thermiques » (logements avec
des étiquettes énergie de F ou G) occupées par des ménages
« modestes » (les 40% ayant les revenus les moins élevés).
Entre 250 et 300 000 rénovations énergétiques
« performantes » de logements
privés étant terminées chaque année (en comptant les travaux étalés sur 2 ou 3 ans, Open
2015), soit les 2/3 de
l’objectif visé, ce plan proposait 3
principales modifications des dispositifs existants, avec des moyens réduits d’environ
25% entre 2017 et 2019 (sur un total initial d’environ 4
Mds d’€/an) :
1. La
transformation du « crédit d’impôt transition énergétique » (CITE) en
« prime », c'est-à-dire en subvention versée dès
la fin des travaux et non l’année suivante sous forme de crédit
d’impôt ;
2. Le
ciblage de cette « prime » sur les travaux ayant le plus d’impact
énergétique (en termes de réduction attendue de
consommation) et sa bonification pour
les ménages aux revenus modestes ;
3.
Le
soutien renforcé aux travaux mobilisant « 2 à 3 gestes simples de
rénovation efficace dans un premier temps » (comme l’isolation des
combles et le changement de la chaudière), notamment pour compléter les aides
aux travaux du programme Habiter Mieux de l’Anah (avec un objectif maintenu à
75 000 logements/an) et doubler le nombre de rénovations énergétiques de logements
privés de ménages modestes.
Une prise en compte partielle
des évaluations et des risques de « double compte »
La
confrontation des évaluations disponibles à ces changements permet de souligner
trois grands constats :
o
Quelques
modifications de « ciblage » vont probablement améliorer les impacts
et l’efficience du CITE, notamment le moindre soutien des travaux aux
impacts énergétiques limités (ex. fenêtres), les bonifications pour les ménages
modestes et la transformation du CITE en prime (reportée dans un premier temps) ;
o
Les
effets des soutiens aux « gestes simples » risquent en revanche de se
substituer à d’autres soutiens plus efficaces qui ciblent les mêmes
ménages modestes (notamment les aides de l’Anah) ;
o
Plus globalement, la faible efficacité de la plupart des aides n’a pas été traitée
par ce plan.
Pourtant
nous verrons que de nouveaux modes d’intervention particulièrement
efficaces et efficients pourraient être développés (notamment les « tarifications
progressives » et le ciblage des « points durs »)
La transformation en prime du crédit d’impôt
« trop coûteuse » à moins de 1% ?
La transformation du
crédit d’impôt en prime versée au moment de l’achèvement des travaux est probablement
la mesure avec le plus d’impact potentiel, à la fois sur les travaux les plus performants (qui
ont 2 fois plus recours à l’emprunt, Open 2015) et sur les rénovations de ménages
modestes (qui ont moins d’épargne ou d’accès au crédit et donc davantage besoin
de trésorerie). De plus, la nature
même de l’instrument « crédit d’impôt » est particulièrement critiqué
par la Cour de
Comptes en raison de l’impossibilité d’en maîtriser les montants et de la
quasi-absence de contrôles (une simple déclaration permet de récupérer jusqu’à
5000 euros par ménage).
Mais cette mesure a été
repoussée à 2020, au motif d’un besoin de 300
instructeurs pour gérer cette prime (soit moins de 1% du coût global du CITE), suivie par un 2nd report et une pleine application finalement prévue pour 2021.
Un meilleur ciblage du crédit d’impôt
Une
autre modification a le mérite de limiter
le volet le moins efficace du CITE, celui du soutien aux renouvellements de
fenêtres (annulé mi-2018, puis rétabli mais uniquement les simples vitrages et
avec des plafonds limités). En effet, ces travaux étaient
les plus soutenus par le crédit d’impôt, alors qu’ils ont le ratio coût/énergie
largement le moins efficient (Evaluation
CIDD 2011).
Par ailleurs, la bonification prévue pour
les ménages « modestes » était d’autant
plus cohérente que ce crédit d’impôt profite davantage aux ménages aisés :
plus de 80% des montants du CIDD étaient captés par les 40% les plus aisés
lorsque ce dispositif était au plus haut (Insee DD 2010). Pour autant, cette bonification ne semble pas avoir étémise en oeuvre, la prime ayant été fusionnée avec d'autres aides déjà existantes (Habiter Mieux "Agilité", voir ci-dessous) :
Des travaux « simples » en plus ou comptés
deux fois ?
Au-delà de la transformation du CITE, le
soutien renforcé aux travaux « simples » mobilisant « 2 à 3 gestes simples de rénovation efficace » comme l’isolation des
combles et le changement de la chaudière, semble
difficile à intégrer aux objectifs et à additionner aux rénovations
subventionnées par l’Anah pour les ménages « modestes ». En
effet :
o
Un ménage aux revenus
« modestes » qui s’engage dans une rénovation avec au moins 2 gestes
efficaces même les plus simples (ex. isolation des combles combinée à un changement de sa
chaudière) dépasse dans la quasi-totalité des cas les 25% de gains énergétiques,
ce qui lui permet de bénéficier des subventions « Habiter Mieux » de
l’Anah. Il est donc déjà compté dans les
rénovations Anah ;
o
Si
le gouvernement pense à des travaux dont le gain énergétique est inférieur à
25%, alors il ne peut s’agir que de
rénovations mobilisant 1 seul « geste » efficace énergétiquement (ex.
isolation des combles ou nouvelle chaudière) ;
o
Or
ces « mono-travaux » sont depuis 2018 déjà comptés dans la nouvelle aide Anah « Agilité » pour
les ménages modestes, ou dans les « combles à 1 euro » financés
depuis 2016 à 100% par les certificats
d’économie d’énergie (CEE), grâce à des montants « bonifiés »
pour les ménages modestes (80 000 ménages concernés en 2017, comme indiqué
dans le Plan) ;
o
Les 75 000 travaux de ménages modestes
« supplémentaires » ne seront donc généralement pas des « rénovations
performantes » et seront déjà comptés dans les travaux soutenus par l’Anah
ou ne seront que des travaux supplémentaires très limités de type
« combles à 1 euro ».
Plus globalement, le gouvernement vise à davantage
utiliser ces CEE pour les travaux
les plus « simples » des ménages modestes et des autres. En effet,
les énergéticiens (ex. EDF ou Engie) ont l’obligation de financer ces types de
travaux avec des primes CEE, dont la valorisation a été augmentée récemment, ce
qui permet par exemple de bénéficier d’une isolation des combles perdus à 1
euro (ces petits travaux coûtent souvent autour de 1000 euros et peuvent donner
droit à plus de 1000 euros de CEE)…Mais cette opportunité attire de nouveaux réseaux de fraudes et génère de l’inflation,
comme à l’époque de l’essor du photovoltaïque (Douanes, Tracfin et France2) et son coût est récupéré sur les factures d’énergie (CGEDD-IGF 2014), à hauteur d’environ 500 M d’euros
en 2017 pour les seuls ménages (UFC 2019).
L’efficacité des travaux n’est pas toujours celle des
aides
Plus
globalement, si les impacts des travaux (sur les consommations énergétiques) sont mieux pris en compte,
l’efficacité de l’aide (pour initier des travaux non prévus) n’est pas
encore considérée par ce plan. En
effet, les évaluations disponibles indiquent que le crédit d’impôt « énergie »
présente une efficacité limitée, hormis dans certains cas associés à un
taux d’aide important :
o
Au moment de son « pic » en
2009, ce crédit d’impôt a pu entraîner une hausse d’environ 30% des travaux
réalisés (CGDD
2015 p.78) et la hausse en 2006 du
taux d’aide de 25 à 40% pour certains ménages a été à l’origine d’environ 10%
de travaux supplémentaires (évaluation
de l’INSEE) ;
o
Pour autant, la plupart des travaux
soutenus sont des changements de chaudières et surtout de fenêtres (ex. 38% des
dépenses soutenues en 2015, Sénat 2012 + CGEDD/IGF
2017), dont les renouvellements sont
périodiques et généralement réalisés sans aide
o
L’augmentation des volumes de travaux a donc principalement été un
simple avancement de leur date (ex. 37%
des utilisateurs du crédit d’impôt pour leurs fenêtres ont uniquement avancé la
date de travaux déjà prévus contre 8% ont entrepris des travaux non envisagés, CGDD
2015 p.79) ;
Plutôt instaurer une
tarification progressive et cibler les « points durs » ?
Pour augmenter à la fois le nombre de rénovation et
leurs impacts (énergétiques et économiques), trois
« transformations » potentiellement très efficaces et peu coûteuses auraient
pourtant pu être engagées :
o
Une
transformation typiquement « structurelle » et que seul l’Etat peut
porter : la tarification
progressive des consommations énergétiques. En effet, les abonnements et
autres modalités tarifaires font que l’unité d’énergie est 20 à 50% plus
coûteuse lorsqu’un ménage ou une petite entreprise réduit sa consommation
énergétique de moitié. Cette tarification diminue donc fortement la rentabilité
des investissements et allonge le délai avant lequel les économies d’énergie couvriront
les dépenses engagées. Cet effet est notamment important pour le gaz, dont les
tarifs sont très « dégressifs » alors que cette énergie concerne la
majorité des logements à rénover en priorité (ceux construits avant la 1ère
réglementation thermique de 1975). Une simple inversion des tarifs permettrait donc
à la fois aux propriétaires occupants de rentabiliser
2 fois plus rapidement leurs investissements sans aide supplémentaire, tout en incitant globalement à la
modération des consommations. En effet,
pour réduire les consommations de plus de 10%, il faut augmenter les prix
de 25 à 40% selon les études du CGEDD.
o
En
amont, l’impact sur les ménages en précarité énergétique pourrait être neutralisé par un doublement du chèque
énergie (ex. de 300 à 600 euros/an de plafond), puis par l’orientation vers
les subventions "Sérénité" pour les propriétaires occupants (de 13 000 à
18 000 euros d'aides/logement pour des travaux de 20 000 euros). Et il est
possible de faire beaucoup plus simple que la dernière tentative de modification des
tarifs, par exemple en distinguant fortement les 50 ou 100 premiers kwh/m²/an
des suivants (voir exemples sur ce blog et les expériences en Italie ou en Californie). Ainsi,
contrairement aux taxes carbones, les perspectives sont surtout des réductions
de prix et les ménages « captifs » (ex. locataires modestes) ne
subissent pas les hausses de tarifs des consommations élevées.
o
En
complément, il faudrait ajouter au
critère d’efficacité des travaux, un critère d’efficacité des aides
(quels travaux ont-ils le plus besoin de soutiens pour être réalisés ?).
Cela aurait comme effet de prioriser les
subventions sur les isolations des murs qui se font rarement sans soutien significatif, alors que les aides sont peu décisives pour les chaudières et les fenêtres. Récemment,
une évaluation approfondie du programme
Habiter Mieux (que nous avons dirigé) estime par
exemple que les aides et accompagnements ont permis d’ajouter entre 20% et 80%
des travaux soutenus selon les cas : dans 20 à 30% des cas pour les
fenêtres et chaudières mais jusqu’à 80% des cas pour les isolations des murs
dans les copropriétés. De plus, remplacer des chaudières avant d’isoler est
particulièrement peu efficient : cela entraîne des dimensions et coûts de
chaudières parfois doublés et donc des subventions parfois inutiles à plus de
50%.
o
En
complément il faudrait également soutenir
les travaux engagés par les propriétaires bailleurs, notamment pour l’isolation
des copropriétés. Par exemple en étendant les aides aux copropriétés
fragiles de l’Anah aux copropriétés plus « moyennes » (voir l’exemple
de MurMur à Grenoble qui a permis de multiplier par 4 les rénovations
« performantes » de copropriétés). En effet, sans un soutien (conditionné) aux bailleurs, il est clair que la majorité des « passoires »
visées par le plan ne seront pas rénovées dans 5 ou 10 ans, car elles sont
occupées par des locataires modestes du privé (environ 50% du total ciblé par
le gouvernement). Or les locataires ne peuvent engager des travaux de
rénovation et ils subiront donc la dégradation de leur logement et
l’augmentation du coût des énergies. Par ailleurs, les soutiens aux bailleurs
qui conventionnent et/ou rénovent devraient s’inscrire dans une inversion de la
fiscalité foncière qui avantage aujourd’hui les locations touristiques et la
rétention foncière, ce qui est à la fois incohérent et inefficace (voir propositions logement)
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