dimanche 25 novembre 2018

Rénovation énergétique : afficher des volumes mais pour quelles améliorations ?

Présenté fin avril 2018, le plan de rénovation des bâtiments a repris les objectifs du gouvernement précédent (« rénover 500 000 logements par an dont 100 000 logements sociaux et 150 000 logements privés de ménages aux revenus « modestes »), avec la perspective de rénover d’ici 10 ans environ 40% des 4 millions de « passoires thermiques » (logements avec des étiquettes énergie de F ou G) occupées par des ménages « modestes » (les 40% ayant les revenus les moins élevés).
Entre 250 et 300 000 rénovations énergétiques « performantes » de logements privés étant terminées chaque année (en comptant les travaux étalés sur 2 ou 3 ans, Open 2015), soit les 2/3 de l’objectif visé, ce plan proposait 3 principales modifications des dispositifs existants, avec des moyens réduits d’environ 25% entre 2017 et 2019 (sur un total initial d’environ 4 Mds d’€/an) :
1.    La transformation du « crédit d’impôt transition énergétique » (CITE) en « prime », c'est-à-dire en subvention versée dès la fin des travaux et non l’année suivante sous forme de crédit d’impôt ;
2.     Le ciblage de cette « prime » sur les travaux ayant le plus d’impact énergétique (en termes de réduction attendue de consommation) et sa bonification pour les ménages aux revenus modestes ;
3.      Le soutien renforcé aux travaux mobilisant « 2 à 3 gestes simples de rénovation efficace dans un premier temps » (comme l’isolation des combles et le changement de la chaudière), notamment pour compléter les aides aux travaux du programme Habiter Mieux de l’Anah (avec un objectif maintenu à 75 000 logements/an) et doubler le nombre de rénovations énergétiques de logements privés de ménages modestes.

Une prise en compte partielle des évaluations et des risques de « double compte »
La confrontation des évaluations disponibles à ces changements permet de souligner trois grands constats :
o   Quelques modifications de « ciblage » vont probablement améliorer les impacts et l’efficience du CITE, notamment le moindre soutien des travaux aux impacts énergétiques limités (ex. fenêtres), les bonifications pour les ménages modestes et la transformation du CITE en prime (reportée dans un premier temps) ;
o   Les effets des soutiens aux « gestes simples » risquent en revanche de se substituer à d’autres soutiens plus efficaces qui ciblent les mêmes ménages modestes (notamment les aides de l’Anah) ;
o   Plus globalement, la faible efficacité de la plupart des aides n’a pas été traitée par ce plan.
Pourtant nous verrons que de nouveaux modes d’intervention particulièrement efficaces et efficients pourraient être développés (notamment les « tarifications progressives » et le ciblage des « points durs »)
La transformation en prime du crédit d’impôt « trop coûteuse » à moins de 1% ?
La transformation du crédit d’impôt en prime versée au moment de l’achèvement des travaux est probablement la mesure avec le plus d’impact potentiel, à la fois sur les travaux les plus performants (qui ont 2 fois plus recours à l’emprunt, Open 2015) et sur les rénovations de ménages modestes (qui ont moins d’épargne ou d’accès au crédit et donc davantage besoin de trésorerie). De plus, la nature même de l’instrument « crédit d’impôt » est particulièrement critiqué par la Cour de Comptes en raison de l’impossibilité d’en maîtriser les montants et de la quasi-absence de contrôles (une simple déclaration permet de récupérer jusqu’à 5000 euros par ménage).
Mais cette mesure a été repoussée à 2020, au motif d’un besoin de 300 instructeurs pour gérer cette prime (soit moins de 1% du coût global du CITE), suivie par un 2nd report et une pleine application finalement prévue pour 2021.
Un meilleur ciblage du crédit d’impôt
Une autre modification a le mérite de limiter le volet le moins efficace du CITE, celui du soutien aux renouvellements de fenêtres (annulé mi-2018, puis rétabli mais uniquement les simples vitrages et avec des plafonds limités). En effet, ces travaux étaient les plus soutenus par le crédit d’impôt, alors qu’ils ont le ratio coût/énergie largement le moins efficient (Evaluation CIDD 2011).
Par ailleurs, la bonification prévue pour les ménages « modestes » était d’autant plus cohérente que ce crédit d’impôt profite davantage aux ménages aisés : plus de 80% des montants du CIDD étaient captés par les 40% les plus aisés lorsque ce dispositif était au plus haut (Insee DD 2010). Pour autant, cette bonification ne semble pas avoir étémise en oeuvre, la prime ayant été fusionnée avec d'autres aides déjà existantes (Habiter Mieux "Agilité", voir ci-dessous) :

           Des travaux « simples » en plus ou comptés deux fois ?
Au-delà de la transformation du CITE, le soutien renforcé aux travaux « simples » mobilisant « 2 à 3 gestes simples de rénovation efficace » comme l’isolation des combles et le changement de la chaudière, semble difficile à intégrer aux objectifs et à additionner aux rénovations subventionnées par l’Anah pour les ménages « modestes ». En effet :

o   Un ménage aux revenus « modestes » qui s’engage dans une rénovation avec au moins 2 gestes efficaces même les plus simples (ex. isolation des combles combinée à un changement de sa chaudière) dépasse dans la quasi-totalité des cas les 25% de gains énergétiques, ce qui lui permet de bénéficier des subventions « Habiter Mieux » de l’Anah. Il est donc déjà compté dans les rénovations Anah ;

o   Si le gouvernement pense à des travaux dont le gain énergétique est inférieur à 25%, alors il ne peut s’agir que de rénovations mobilisant 1 seul « geste » efficace énergétiquement (ex. isolation des combles ou nouvelle chaudière) ;

o   Or ces « mono-travaux » sont depuis 2018 déjà comptés dans la nouvelle aide Anah « Agilité » pour les ménages modestes, ou dans les « combles à 1 euro » financés depuis 2016 à 100% par les certificats d’économie d’énergie (CEE), grâce à des montants « bonifiés » pour les ménages modestes (80 000 ménages concernés en 2017, comme indiqué dans le Plan) ;

o    Les 75 000 travaux de ménages modestes « supplémentaires » ne seront donc généralement pas des « rénovations performantes » et seront déjà comptés dans les travaux soutenus par l’Anah ou ne seront que des travaux supplémentaires très limités de type « combles à 1 euro ».

Plus globalement, le gouvernement vise à davantage utiliser ces CEE pour les travaux les plus « simples » des ménages modestes et des autres. En effet, les énergéticiens (ex. EDF ou Engie) ont l’obligation de financer ces types de travaux avec des primes CEE, dont la valorisation a été augmentée récemment, ce qui permet par exemple de bénéficier d’une isolation des combles perdus à 1 euro (ces petits travaux coûtent souvent autour de 1000 euros et peuvent donner droit à plus de 1000 euros de CEE)…Mais cette opportunité attire de nouveaux réseaux de fraudes et génère de l’inflation, comme à l’époque de l’essor du photovoltaïque (Douanes, Tracfin et France2) et son coût est récupéré sur les factures d’énergie (CGEDD-IGF 2014), à hauteur d’environ 500 M d’euros en 2017 pour les seuls ménages (UFC 2019).

L’efficacité des travaux n’est pas toujours celle des aides
Plus globalement, si les impacts des travaux (sur les consommations énergétiques) sont mieux pris en compte, l’efficacité de l’aide (pour initier des travaux non prévus) n’est pas encore considérée par ce plan. En effet, les évaluations disponibles indiquent que le crédit d’impôt « énergie » présente une efficacité limitée, hormis dans certains cas associés à un taux d’aide important :
o   Au moment de son « pic » en 2009, ce crédit d’impôt a pu entraîner une hausse d’environ 30% des travaux réalisés (CGDD 2015 p.78) et la hausse en 2006 du taux d’aide de 25 à 40% pour certains ménages a été à l’origine d’environ 10% de travaux supplémentaires (évaluation de l’INSEE) ;
o   Pour autant, la plupart des travaux soutenus sont des changements de chaudières et surtout de fenêtres (ex. 38% des dépenses soutenues en 2015, Sénat 2012 + CGEDD/IGF 2017), dont les renouvellements sont périodiques et généralement réalisés sans aide 

o   L’augmentation des volumes de travaux a donc principalement été un simple avancement de leur date (ex. 37% des utilisateurs du crédit d’impôt pour leurs fenêtres ont uniquement avancé la date de travaux déjà prévus contre 8% ont entrepris des travaux non envisagés, CGDD 2015 p.79) ;

Plutôt instaurer une tarification progressive et cibler les « points durs » ?
Pour augmenter à la fois le nombre de rénovation et leurs impacts (énergétiques et économiques), trois « transformations » potentiellement très efficaces et peu coûteuses auraient pourtant pu être engagées :
o   Une transformation typiquement « structurelle » et que seul l’Etat peut porter : la tarification progressive des consommations énergétiques. En effet, les abonnements et autres modalités tarifaires font que l’unité d’énergie est 20 à 50% plus coûteuse lorsqu’un ménage ou une petite entreprise réduit sa consommation énergétique de moitié. Cette tarification diminue donc fortement la rentabilité des investissements et allonge le délai avant lequel les économies d’énergie couvriront les dépenses engagées. Cet effet est notamment important pour le gaz, dont les tarifs sont très « dégressifs » alors que cette énergie concerne la majorité des logements à rénover en priorité (ceux construits avant la 1ère réglementation thermique de 1975). Une simple inversion des tarifs permettrait donc à la fois aux propriétaires occupants de rentabiliser 2 fois plus rapidement leurs investissements sans aide supplémentaire, tout en incitant globalement à la modération des consommations. En effet, pour réduire les consommations de plus de 10%, il faut augmenter les prix de 25 à 40% selon les études du CGEDD.
o   En amont, l’impact sur les ménages en précarité énergétique pourrait être neutralisé par un doublement du chèque énergie (ex. de 300 à 600 euros/an de plafond), puis par l’orientation vers les subventions "Sérénité" pour les propriétaires occupants (de 13 000 à 18 000 euros d'aides/logement pour des travaux de 20 000 euros). Et il est possible de faire beaucoup plus simple que la dernière tentative de modification des tarifs, par exemple en distinguant fortement les 50 ou 100 premiers kwh/m²/an des suivants (voir exemples sur ce blog et les expériences en Italie ou en Californie). Ainsi, contrairement aux taxes carbones, les perspectives sont surtout des réductions de prix et les ménages « captifs » (ex. locataires modestes) ne subissent pas les hausses de tarifs des consommations élevées.
o   En complément, il faudrait ajouter au critère d’efficacité des travaux, un critère d’efficacité des aides (quels travaux ont-ils le plus besoin de soutiens pour être réalisés ?). Cela aurait comme effet de prioriser les subventions sur les isolations des murs qui se font rarement sans soutien significatif, alors que les aides sont peu décisives pour les chaudières et les fenêtres. Récemment, une évaluation approfondie du programme Habiter Mieux (que nous avons dirigé) estime par exemple que les aides et accompagnements ont permis d’ajouter entre 20% et 80% des travaux soutenus selon les cas : dans 20 à 30% des cas pour les fenêtres et chaudières mais jusqu’à 80% des cas pour les isolations des murs dans les copropriétés. De plus, remplacer des chaudières avant d’isoler est particulièrement peu efficient : cela entraîne des dimensions et coûts de chaudières parfois doublés et donc des subventions parfois inutiles à plus de 50%.
o   En complément il faudrait également soutenir les travaux engagés par les propriétaires bailleurs, notamment pour l’isolation des copropriétés. Par exemple en étendant les aides aux copropriétés fragiles de l’Anah aux copropriétés plus « moyennes » (voir l’exemple de MurMur à Grenoble qui a permis de multiplier par 4 les rénovations « performantes » de copropriétés). En effet, sans un soutien (conditionné) aux bailleurs, il est clair que la majorité des « passoires » visées par le plan ne seront pas rénovées dans 5 ou 10 ans, car elles sont occupées par des locataires modestes du privé (environ 50% du total ciblé par le gouvernement). Or les locataires ne peuvent engager des travaux de rénovation et ils subiront donc la dégradation de leur logement et l’augmentation du coût des énergies. Par ailleurs, les soutiens aux bailleurs qui conventionnent et/ou rénovent devraient s’inscrire dans une inversion de la fiscalité foncière qui avantage aujourd’hui les locations touristiques et la rétention foncière, ce qui est à la fois incohérent et inefficace (voir propositions logement)

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