mercredi 16 mars 2022

Les trucages d'indicateurs : gonfler les dépenses et les résultats de "transition énergétique" (1/3)

Les moyens et résultats des politiques de "transition" étant très limités, voire "inversés" (voir les notes rénovation, énergies + transport et agriculture à venir), différentes stratégies récurrentes sont utilisées par le gouvernement pour camoufler ces résultats limités. Dans certains cas, les stratégies de confusion peuvent être ambitieuses : elles visent à transformer des efficacités limitées en « succès » avec l’une et/ou l’autre des manœuvres suivantes :

1.  Afficher des résultats qui n’en sont pas, en confondant les résultats d’une politique avec les « réalisations » de cette politique en termes de « nombre d’aides » (exemples des politiques de rénovation et de conversion des véhicules) ;

2.    Gonfler des dépenses ou actions en réalité limitées, voire négatives, en confondant les dépenses anciennes et nouvelles ou les dépenses publiques avec les dépenses totales (publiques + privées) consacrées à un domaine (exemples des politiques énergies et transports).

Voici 3 exemples de ces "trucages d'indicateurs", qui montrent que la politique du chiffre ("juking the stats" de la série The Wire) n'est pas réservée aux politiques de sécurité :

 

Stratégie de confusion n°1 : prendre des réalisations pour des résultats

Comme nous l’avons détaillé dans la note rénovation, les politiques de rénovation énergétique soutiennent massivement des opérations « low cost » qui ne correspondent pas aux objectifs de cette politique. De plus, les impacts énergétiques et économiques de ces travaux sont le plus souvent très limités, voire négatifs dans les cas nombreux de fraudes et de malfaçons. Pourtant, la comm’ gouvernementale met en avant les « résultats » positifs de cette politique :

https://www.francetvinfo.fr/economie/energie/video-logement-emmanuelle-wargon-salue-l-acceleration-fulgurante-du-dispositif-maprimerenov_4360355.html

Mais ces résultats affichés n’en sont pas : les rénovations comptabilisées ne sont pas « performantes » (elles ne concernent qu’un seul type de travaux et/ou des gains inférieurs à 20%) et elles relèvent de travaux courants et peu liés à l’aide octroyée (l’ « effet d’aubaine » précisé dans la note rénovation). L’ensemble des travaux ayant reçu une aide sont tout de même comptés, afin de gonfler les volumes affichés en confondant les « réalisations » de la politique (le nombre de bénéficiaires d’une aide) et ses « résultats » (les travaux déclenchés ou améliorés grâce à ces aides) :


De plus, ces « volumes de travaux aidés » sont souvent comptés deux fois : la plupart sont à la fois soutenus par l’ex-aide Agilité de l’Anah (en 2018-2019) devenue « Ma prime rénov’ » (en 2020) et par les certificats d’économie d’énergie (CEE, voir l’article « double compte »). Seule l’isolation des combles perdus étant uniquement soutenue par des CEE (car très peu coûteuse : souvent moins de 1000 ).

Autre type de tromperie : les conditions et noms des aides changent chaque année depuis 2017, ce qui facilite les fausses comparaisons. La hausse du nombre de travaux aidés par un dispositif serait la preuve d’un « succès ». Or les montants d’aides de l’Etat de 2021 (appelés Ma prime rénov’ - MPR) sont en réalité similaires à ceux de 2017-2018 (appelés Crédit d’impôt Transition Energétique - CITE). Le Crédit d’impôt concernait même davantage de travaux en 2017 : plus d’1,2 M de travaux aidés par an contre 0,7 M de travaux aidés par MPR en 2021 (rapport parlementaire 2020, I4CE 2021 et bilan MPR 2021). Les principales différences par rapport à 2018 étant le versement plus rapide de l'aide (qui est le point positif), mais surtout l’augmentation des aides aux Pompes à chaleur air/eau, très chères et également sur-subventionnées par les CEE pour les ménages modestes (voir ci-dessous). Entre temps, le CITE a été restreint et remplacé par Ma prime rénov’, qui n’a débuté qu’avec les ménages modestes en 2020. En se comparant à une année de démarrage, avec peu d’éligibles et plus de 4 mois de confinements, difficile de ne pas faire beaucoup mieux…

Sommet de la caricature, les « coups de pouce à 1 euro » se sont même appuyés sur des CEE fictifs appelés « bonifiés ». Pour « booster » le nombre d’opérations et leurs impacts affichés, les gains énergétiques attribuables à certains travaux ont été multipliés par 2 à 8 par l’Etat en 2019 (en complément des bonifications sur les "combles à 1 euro" engagées en 2017). Le prix des primes par unité de « gain énergétique » (Mwhc) étant resté élevé, cela a permis de proposer des pompes à chaleur à « 1 euro », alors qu’elles coûtent entre 8 à 12 000 €. Cette décision a permis au passage aux « obligés » financeurs des CEE (notamment Edf, Engie et Total) d’atteindre les objectifs très ambitieux fixés pour cette 4ème période (CEE Mines PSL). Ainsi, l’augmentation prévue des économies d’énergie (théoriques) en 2019-2020 n’est pas 2 fois plus importante qu’en 2017-2018, mais 1,3 fois plus importante, le reste des Twhc affichés étant principalement des « bonifications » fictives (en jaune dans le graphique ci-dessous) :


Avec l’exemple de la politique de « conversion automobile » (détails à venir) le gouvernement actuel a poussé cette logique encore plus loin, mais avec le même principe superficiel : donner une petite aide à des petits actes très fréquents, afin d’afficher un nombre élevé de « résultats » d’une politique


Stratégie de confusion n°2 : des dépenses publiques nouvelles ou anciennes ?

Comme détaillé dans la note sur les politiques « inversées » de production d’énergies, les politiques de soutien des énergies renouvelables sont étrangement devenues des politiques de limitation des investissements, au moment où ceux-ci deviennent « naturellement » rentables. Avec notamment comme conséquence de favoriser les importations de gaz. Pourtant, la communication gouvernementale met souvent en avant les dépenses importantes, voire « sans précédent » consacrées aux énergies renouvelables :

https://www.ecologie.gouv.fr/letat-engage-effort-sans-precedent-en-faveur-des-energies-renouvelables

A l’inverse de cette comm’ (et des lapsus et/ou incompétences de Macron sur le « non renouvelable »), nous avons vu dans la note énergies que l’essentiel de ces dépenses concernent les renouvelables électriques (le bois-énergie n’étant soutenu que marginalement, malgré une efficience très élevée) et les soutiens dits « historiques », car engagés entre 2008 et 2016. En effet, la particularité des soutiens aux énergies électriques est qu’elles subventionnent sur 15 à 20 ans la différence entre le coût de production et le (très variable) « prix de marché ». Or :

o    Ces écarts entre coûts de production et prix de marché étaient très importants pour les projets soutenus dans les années 2006-2012, mais sont progressivement devenus très limités, notamment pour l’éolien (terrestre et marin) et les moyennes et grandes installations de photovoltaïque (Ademe coût des Enr 2019), la méthanisation restant en revanche coûteuse ;

o     Ce sont donc davantage les baisses du prix de marché que les nouvelles installations qui expliquent les hausses ponctuelles des soutiens à l’éolien et au photovoltaïque, les nouvelles installations nécessitant peu voire plus de soutien (CSPE) ;

o      Plus récemment, la hausse inédite des prix de marché de l’électricité de « gros » (à plus de 200 /Mwh vs. 60 /Mwh en 2019) a comme conséquence inverse de réduire les subventions à l’éolien et au photovoltaïque « ancien » (-1,4 Mds d’€ entre 2020 et 2022, soit -25% CSPE), hormis pour les petits panneaux sur toiture installés en 2005-2012 à des prix extrêmement élevés.

Ces dépenses étant étalées sur 15 à 20 ans, il est donc difficile de distinguer les nouvelles dépenses des anciennes. Mais le graphique de la Programmation Pluriannuelle de l’Energie (PPE) qui résume les engagements de subventions aux énergies renouvelables démontre que les nouvelles dépenses publiques pour les "Enr" sont en réalité très limitées :  

Ainsi, les subventions engagées entre 2008 et 2018 représentent environ 6 Mds €/an à payer sur 15 ans (en moyenne et dans l’hypothèse d’un prix de marché autour de 50 €/Mwh, ce qui n’est donc plus le cas depuis 2021). En revanche, il n’est prévu d’engager qu’environ 1,5 Md € par an sur les 15 ans suivants (moins d’1 Md € par an entre 2018 et 2023, puis 1,5 à 2 Md € par an après 2024, voir le graphique de la PPE ci-dessus). Par exemple, il n’est prévu que  +6 GW d’éolien marin sur 10 ans contre +4 GW sur les 10 ans précédents, alors que son coût a chuté de 80% : de 220 €/Mwh en 2012 à moins de 50 €/Mwh pour le récent appel d’offre de Dunkerque. Or ce prix est équivalent, voire inférieur au prix de marché moyen et ne nécessitera que des montants de subventions limités, voire positifs (!) dans les 20 prochaines années. Les appels d’offre prévus relèvent donc plutôt d’une limitation que d’un soutien au développement des renouvelables électriques qui sont devenues rentables quasiment sans financement public (en France et ailleurs, hors biogaz). Sans parler du bois-énergie, très peu soutenu par les dépenses publiques, qu’elles soient nouvelles ou anciennes… 


Stratégie de confusion n°3 : prétendre que les dépenses totales  sont publiques

Comme détaillé dans la note "transports" à venir, les politiques de soutien aux infrastructures ferroviaires restent marginales (au regard des investissements publics routiers), sont en recul (malgré un avantage historique du routier) et pénalisent en particulier le fret ferroviaire. Malgré ces constats très documentés, la comm’ gouvernementale met souvent en avant des investissements importants dans les infrastructures ferroviaires, en soulignant l’augmentation des dépenses de renouvellement, qui passeraient de 3,1 à 3,5 Mds d’€ par an entre 2017 et 2022 (Grand plan d’investissement et PLF 2019), afin d’améliorer également les 5300 km de sections à « trafic ralenti » en raison de leur manque d’entretien (sur 28 000 km au total) :

https://www.dailymotion.com/video/x7djibf

Pourtant, contrairement à ce qui était répété en boucle, ces dépenses ne sont pas en augmentation et certainement pas de +50% comme l’avance la ministre Elisabeth Borne. Surtout, ces dépenses ne sont pas « publiques », dans la mesure où le renouvellement est très peu subventionné en France.

Tout d’abord, comme précisé dans le Grand plan d’investissement, l’augmentation de 400 M €/an des subventions de renouvellement du réseau ferré par rapport à 2017 était en réalité déjà prévue dans le contrat 2017-2026 entre l’Etat et SNCF Réseau :

Surtout, ces dépenses ne sont pas des dépenses « publiques », mais des dépenses « totales » d’investissement, dont moins de 10% sont soutenus par l’Etat. L’essentiel de ces dépenses sont prises en charge par la Sncf et donc par ses usagers. Les infrastructures ferroviaires en général (construction + entretien) sont principalement payées par les billets de train, notamment pour les TGV : plus de 30% du prix de billet couvrent les charges d’infrastructures. Plus spécifiquement, les investissements de renouvellement (et d’entretien) du réseau ferré sont en quasi-totalité financés par les usagers et doivent en plus couvrir les intérêts de la dette (~1,2 Md €/an, Cour des comptes 2018) contractée par la Sncf pour investir dans le réseau ferré. A l’inverse, le réseau routier est subventionné à 100% (hors autoroutes concédées) et ne porte ni dette ni intérêts. Etant subventionnées à 100%, les dettes routières sont intégrées aux dettes de l’Etat, donc à un taux d’intérêt inférieur de 3 points à celui payé par SNCF réseau (0,5% vs. 3,5%/an en 2017).

De plus, cette augmentation programmée avant 2017 est en réalité limitée (au regard de l’inflation) et encore largement insuffisante selon les audits techniques (Cour des comptes 2018, Rapport Philizot), compte tenu des nombreuses années de sous-investissements jusqu’en 2008 :


Ainsi, l’excuse répétée des « investissements excessifs dans les LGV » est particulièrement infondée : la forte limitation du développement des nouvelles lignes (depuis Hollande) ne s’est pas traduit par des investissements publics dans le renouvellement, toujours financés en quasi-totalité par la SNCF… Or ce financement par la SNCF s’appuie sur ses revenus tirés du succès des nouvelles LGV, succès qui explique également l’amélioration de certaines lignes de TER (Bilan Arafer, Tribune). C’est donc en réalité plutôt le développement des LGV qui a permis de mieux financer le renouvellement du réseau et non « le tout-TGV qui explique le manque de financement public du renouvellement », ce financement public étant toujours quasiment nul en France…

Autre variante plus récente de confusion entre dépenses, le « plan de relance » annoncé suite à la première crise sanitaire affiche un investissement de 4,7 Mds € dans le ferroviaire, alors que ces montants visent pour l’essentiel à compenser les pertes de la SNCF liées au confinement (Bilan infras p.109 et Batiactu). Donc l’équivalent du « fonds de solidarité » pour la restauration ou pour d’autres secteurs impactés, afin de simplement maintenir les investissements de renouvellement prévus entre 2017 et 2022... Encore un « faux en parole publique » ?

 


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